ANNEXE 1
1962,
COMMENT ALLER SUR LA LUNE
Le
projet du président Kennedy d'envoyer un homme sur la lune avant la fin des années
1960 exigeait de la NASA qu'elle décide rapidement de la méthode à adopter.
Les Américains étudièrent trois approches de vol lunaire: l'ascension
directe, le rendez-vous orbital terrestre et le rendez-vous orbital lunaire. A
cause des premières hésitations de Khrouchtchev, les Soviétiques avaient
encore moins de temps pour choisir la voie qui conduirait à la lune. Sergueï
Korolev, chef du programme spatial habité au début des années 1960, étudia
les mêmes possibilités que les Américains, avec en plus une combinaison de
rendez-vous orbital circumterrestre et de rendez-vous orbital circumlunaire. Divers
groupes de savants américains s'unirent pour soutenir chacune des trois
techniques considérées. Examinons les avantages et les inconvénients de
chacun de ces projets qui devaient sérieusement transporter des hommes vers la
lune. Ascension
directe Une fusée de grande taille et puissante lancerait le vaisseau sur une trajectoire directe vers la lune. Aucune orbite terrestre de stationnement ni de mise en orbite initiale autour de la lune ne serait nécessaire, ce qui permettrait une approche et un atterrissage directs sur la surface de la lune. Après exploration, le vaisseau décollerait et retournerait directement vers la terre. Cette
approche nécessitait une puissance massive d'accélération et aurait exigé la
construction de la fusée Nova de propulsion de 5.500 tonnes qui avait été
proposée. Beaucoup de visionnaires pensaient que l'avenir spatial américain
aurait un besoin croissant en accélérateurs de ce type et manifestèrent un
grand intérêt pour la construction de l'accélérateur Nova proposé. James
Webb, administrateur de la NASA, comptait au nombre de ceux qui était pour une
ascension directe. En
Union Soviétique, Korolev conçut la fusée NI avec une charge admissible de
150 tonnes. Elle aurait été la réplique russe de la Nova américaine. Le créateur
soviétique dut limiter ses projets en raison de l'immense complexité d'une fusée
de cette taille. L'ascension
directe vers la lune présentait l'avantage d'être simple. Aucune des complexités
inhérentes au rendez-vous et à l'accostage n'était exigée. Très peu de
nouvelles techniques spatiales seraient nécessaires. Cependant, l'inconvénient
majeur était que l'accélérateur géant nécessaire pour une ascension directe
dépassait les limites des technologies existantes tant pour les Etats Unis que
pour l'Union Soviétique. Il aurait fallu davantage de temps pour mettre au
point la fusée Nova. Elle n'aurait pas été prête pour un vol habité avant
1972 ou 1973, c'est-à-dire après la limite de la décade fixée par Kennedy. Rendez-vous
orbital terrestre (EOR) Un
vaisseau spatial serait lancé dans l'orbite terrestre, puis le rendez-vous et
l'accostage auraient lieu, avec des véhicules de support, soit réservoirs
d'ergol soit étages de descente, lancés par une autre fusée. Le vaisseau
mixte se dirigerait alors vers la lune comme dans l'ascension directe. Cette
proposition présentait l'avantage d'exiger des fusées moins puissantes et développait
des capacités pour une éventuelle station spatiale. L'inconvénient était la
complexité des multiples lancements nécessaires au transport d'équipement
pour le vaisseau en orbite et les énormes dépenses impliquées par un projet
à long terme de ce genre. Les multiples lancements diminueraient les chances de
réussite de la mission. Wernher
von Braun était, avec d'autres, partisans de cette approche qui permettrait
d'effectuer un vol en utilisant le matériel du début des années 1960.
L'argument contre ce projet, c'était les quinze lancements séparés
qu'exigeait l'assemblage du véhicule lunaire. Les Soviétiques étudiaient plusieurs variantes à ce thème, comme les blocs d'assemblage pour un alunissage. Leur projet initial impliquait quatre lancements pour assembler un vaisseau pour un vol habité autour de la lune. Cette approche fut abandonnée pour diverses raisons, et surtout les délais de production et la complexité du rendez-vous orbital. Rendez-vous
orbital Lunaire (LOR) Une
fusée de grande taille lancerait une combinaison de trois vaisseaux: un
vaisseau de commandement pour l'équipage; un module de service qui contiendrait
l'équipement de survie, l'alimentation électrique et la propulsion ; et un
module lunaire pour déposer un ou deux hommes sur la surface de la lune. En
atteignant l'orbite de la lune, l'équipe passerait du vaisseau de commandement
à l'étage de descente. Ce dernier se détacherait et se poserait sur la lune.
Après exploration de la lune, la moitié supérieure de l'étage de descente décollerait
de la surface et accosterait le vaisseau de commandement encore en orbite autour
de la lune. L'équipage reviendrait dans le vaisseau de commandement et
retournerait sur terre. Le
projet LOR avait été à l'origine conçu en 1923 par le créateur allemand de
fusée, Hermann Oberth. Le LOR qui devait déposer des hommes sur la lune était
un projet inattendu et avait peu de chances de réussir pour un certain nombre
de raisons. Il fut considéré comme trop risqué d'effectuer un rendez-vous
aussi loin de la terre. Si un problème survenait dans l'orbite lunaire, l'équipage
aurait été perdu à tout jamais autour de la lune. Par contre, l'EOR offrait
la sécurité d'un retour rapide sur la terre. En
1961, un dur combat fut engagé entre les ingénieurs de la fusée allemande qui
étaient pour l'EOR et l'industrie des fusées américaines qui supportait
l'ascension directe. Ces deux groupes restaient sur leurs positions et étaient
bien décidés à faire porter le choix sur leur approche. Lorsque
John Houbolt, ingénieur du Langley Research Center de la NASA, proposa le
premier le LOR à la NASA en 1961, celle-ci fit la sourde oreille. Ce n'est que
lorsque quelques ingénieurs de Langley analysèrent les trois plans ensemble,
qu'ils réalisèrent que le LOR exigerait moins de carburant et une charge utile
diminuée de moitié. Il n'avait pas non plus besoin du monstre technologique
d'une fusée Nova ou des multiples lancements de l'EOR. L'étage de descente léger
du LOR représentait d'importantes économies de carburant et pourrait être délesté
après avoir quitté la lune. L'ascension directe et l'EOR avaient l'énorme
poids mort du vaisseau entier se posant sur la lune et retournant vers la terre.
Le principal obstacle pour le LOR était la distance à laquelle s'effectuerait
le rendez-vous. Les dirigeants de la NASA, et probablement certains des
astronautes, étaient sceptiques concernant le rendez-vous qui n'avait pas fait
ses preuves et n'était pas fiable. Houbolt persista à soutenir activement son projet LOR. Lentement, il persuada les chefs de la NASA un par un. Les coûts énormes de la fusée Nova affaiblirent le soutien accordé à l'ascension directe. Et comme l'EOR se basait aussi sur l'accostage, le LOR commença à faire des adeptes dans les deux camps. Dès 1962, Robert Gilruth et Von Braun s'accordèrent à dire que le LOR était la solution à adopter. Aux côtés de Houbolt, ils convainquirent à leur tour Webb. Après avoir choisi le projet LOR, la NASA abandonna principalement le concept de la fusée Nova et commença à concevoir le Saturne V en modèle réduit pour un vol habité. Les
options soviétiques
Après
des hésitations entre diverses options, les Soviétiques finirent par adopter
un projet de vol habité qui était similaire au rendez-vous orbital lunaire
utilisé par Apollo. A cet instant précis, le programme d'alunissage soviétique
habité ne doit pas être confondu avec le programme lunaire habité Zond qui
avait pour simple but de tourner autour de la lune. Zond était une version dépouillée
du Soyouz qui aurait été lancée par l'accélérateur Proton, tournerait
seulement autour de la lune et reviendrait sur terre. Le programme
d'atterrissage avec équipage utiliserait, à la place, l'accélérateur géant
N- 1, qui lancerait tous les composants sur un vol comme dans l'approche
Apollo/Saturne V par les Américains. La différence majeure était qu'un seul
cosmonaute réaliserait l'alunissage. Il
y avait en réalité deux projets séparés d'alunissage humain, à court terme
et à long terme. Le premier était une tentative d'arriver avant les Américains
à la surface de la lune. Le second était une réaction au succès probable
d'un atterrissage américain sur la lune. Les deux projets avaient subi maintes
modifications et révisions en raison des pannes, reports et délais de
production. Le premier projet prévoyait un vol qui aurait lieu au début de
1970, avec le court séjour d'un cosmonaute sur la lune. Le second était prévu
entre le milieu et la fin des années 1970. Trois cosmonautes se poseraient sur
la lune dans un Soyouz placé au sommet d'un immense étage de descente. Ils
resteraient alors un mois au plus pour éclipser l'alunissage précédent des Américains.
Le
concept de l'alunissage initial d'un seul cosmonaute ressemblait de près au
projet Apollo. Un seul accélérateur N-1 lancerait un équipage à bord d'un
Soyouz. Le module lunaire soviétique à un seul homme serait placé en dessous
du Soyouz. Cependant, au lieu du puissant module de service utilisé par Apollo
pour entrer dans l'orbite lunaire, les Soviétiques utilisèrent un étage
d'insertion dans l'orbite séparé placé en dessous de la combinaison module
lunaire/Soyouz. Ce même étage de fusée amorcerait aussi la descente du module
lunaire vers la surface tandis que le Soyouz resterait dans l'orbite lunaire.
Consommant son carburant avant de se poser, le module lunaire soviétique devait
délester l'étage de descente séparé et réaliser seul l'atterrissage. Une
ascension ultérieure depuis la lune, le rendez-vous avec Soyouz et le retour
sur la terre à borde de Soyouz ressemblaient là encore de près au projet
Apollo américain. Le
plan soviétique d'alunissage à long terme nécessitait des lancements doubles
de la puissante fusée N-1 transportant des composants d'un étage massif de
descente avec plusieurs hommes. Surmonté d'un vaisseau Soyouz complet,
l'immense étage de descente resterait à la surface de la lune pendant un mois
au plus. Fait intéressant à noter sur le Soyouz, c'est que pendant le
lancement les instruments du module de commandement sont conçus pour des
cosmonautes couchés. Cependant, les instruments du module orbital sont placés
de telle façon que les cosmonautes doivent se trouver debout. Ce sera idéal
lorsque le Soyouz sera en position verticale et atterrira sur la surface de la
lune. Il donnera aux cosmonautes une vue et un contrôle améliorés pendant
cette phase délicate. Et aussi la trappe extérieure du module orbital
s'ouvrait sur le côté, permettant de sortir plus facilement du vaisseau. Les
principaux inconvénients du projet de séjour prolongé étaient la fiabilité
de la fusée N-1 et la petite marge d'erreur permise dans le lancement d'une
configuration aussi grande. Copyright
Fritz
Bronner 1992
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