AU COMMENCEMENT...
La compétition entre l' union soviétique et les Etats Unis commence avec la guerre froide. Les armes à base de fusées mises au point par l'Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale font l'objet de la plus grande convoitise des pays alliés. Dès 1944, une véritable course de vitesse va naître entre ces pays pour récupérer ce précieux butin. Américains et Soviétiques vont alors être les plus grands bénéficiaires du savoir-faire et de l'aide des ingénieurs allemands. Ces derniers, dirigés par Wemher von Braun, avaient non seulement été les créateurs du missile V2 que l'armée allemande lancera sur Paris, les villes du nord de la France, Londres et Anvers à partir du 8 septembre 1944, mais ils avaient également commencé à réfléchir à la conquête spatiale. Juillet 1945, von Braun et ses collaborateurs sont prisonniers des Américains en Bavière. A cette même époque le Bureau de l'aéronautique de la Marine américaine demande à von Braun de faire un rapport prospectif sur la conquête spatiale. Hormis la possible réalisation de stations orbitales, celui-ci prévoit le lancement de satellites et l'envoi d'une mission habitée sur la Lune. L'enthousiasme est tel au sein du Bureau de l'aéronautique de la Marine que la Section des armes spéciales propose dès le 10 août 1945 de s'engager dans un projet de satellite dénommé Rex destiné à la recherche scientifique, à la météorologie, à l'observation et au relais des communications. Mais beaucoup sont conscients que le coût de ce projet, estimé entre 5 et 8 millions de dollars, pouvait être rédhibitoire. De son côté, l'Army Air Force, qui n'entendait pas céder le domaine spatial à la seule Marine, décide de confier au printemps 1946 à la RAND, créée au sein de la société Douglas Aircraft Co., une étude sur la faisabilité des satellites. Au début du mois de mai suivant, la RAND propose de réaliser un satellite de 225 kg, de le lancer avec une fusée à quatre étages dans un délai de trois à cinq années pour un coût de 150 millions de dollars. Mais la partie sans doute la plus intéressante du rapport, et qui est pour le moins prophétique, précise que ce type de satellite avec une instrumentation appropriée deviendra sans doute l'un des plus utiles instruments scientifiques du 20 eme siècle. La réalisation d'un satellite par les États-Unis enflammera l' immagination de l' humanité avec des répercutions comparable à la première bombe atomique. La première nations qui réalisera cet exploit sera reconnue comme le leader mondial tant sur le plan militaire que scientifique et technique. Pour réaliser l'impact qu'aura cet événement dans le monde, on peut imaginer la consternation et l'admiration qui seraient ressenties si les États-Unis découvraient soudain qu'une autre nation a placé un satellite sur orbite." Le ton est donné. Les études se poursuivirent en 1946 et 1947 avec le concours d'industriels comme North American Aviation, Glenn A. Martin Company et Aerojet Engineering Corp. En fait, la décision de lancer les États-Unis dans la réalisation d'un satellite ne viendra pas. Dans un rapport du 29 mars 1948 on lit: "La possibilité technique de mettre au point un satellite a été clairement établie. Ni la Marine, ni l'US Air Force n'ont pu à ce jour démontrer un intérêt scientifique ou militaire pour les satellites justifiant leur coût envisagé actuellement et aucun satellite ne doit être mis au point avant qu'une telle utilité ait été démontrée. " Devant le refus des autorités, force est d'attendre une période plus favorable. À la même époque, en Union soviétique, les premiers projets émergent également. En 1945, Tikhonravov propose d'envoyer à 200 km d'altitude deux cosmonautes à bord d'une fusée V2 allemande récupérée. En juin 1948, Blagonravov envisage la possibilité de placer en orbite terrestre un satellite avec une fusée dont les étages sont disposés en paquet et non superposés. Puis, en octobre 1951, Tikhonravov déclare que l'Union soviétique envisage de lancer des satellites. Mais il faut attendre le 16 septembre 1953 pour qu'un programme de recherche dans le domaine des satellites soit officiellement décidé, pour une période de deux années. Deux mois plus tard, en novembre 1953, A. N. Nesmeyanov, de l'Académie des sciences d'URSS, indique à Vienne au Conseil sur la paix que le lancement de satellites par son pays doit être considéré comme possible. Donc, que ce soit aux États-Unis ou en Union soviétique, de 1945 à 1953, de nombreuses idées concernant les satellites et la conquête spatiale sont émises, mais aucune décision n'est prise concernant leur réalisation. Il est vrai que pour mettre un satellite en orbite, il faut encore attendre que les possibilités technologiques permettent de réaliser un lanceur. Par ailleurs, la première étape - prioritaire pour les deux leaders des camps capitaliste et socialiste - va consister, alors que la guerre froide s'installe, à réaliser des missiles de quelques centaines de kilomètres de portée avant de parvenir à mettre au point des missiles intercontinentaux qui seront à la base de la réalisation des futurs lanceurs spatiaux. Les idées continuent cependant à émerger. En février 1952, le président Truman demande que soit établi un rapport sur "l'état actuel des programmes de satellites ". C'est la première fois qu'un intérêt aussi fort est marqué au plus haut niveau de l'État américain. Le 25 août 1953, le professeur Aristide von Grosse remet ce rapport préconisant de s'engager dans la réalisation et le lancement du premier satellite américain. Là encore, on insiste sur l'effet psychologique important que pourrait avoir un tel événement dans le contexte de la guerre froide. Entre-temps, Eisenhower a succédé à Truman et la nouvelle administration ne donne pas suite. Au cours de ce même été 1953, S. F. Singer, de l'université du Maryland, propose son projet MOUSE (Minimum Orbital Unmanned Satellite of Earth), projet qui restera sans suite. Le 1er mars 1954, un nouveau rapport ayant trait au projet Feed Back envisage un satellite militaire pour l'observation, la cartographie et la météorologie. Puis, le 25 juin 1954, von Braun propose de lancer un satellite de 2,25 kg avec une fusée Redstone en cours de réalisation. Par ailleurs, le traumatisme de Pearl Harbor est toujours présent dans les mémoires et on estime que les armes nouvelles peuvent faire plus que jamais peser le risque d'une attaque surprise. C'est ce que signale le président Eisenhower lors d'une réunion du Conseil scientifique, le 27 mars 1954, où il s'agissait de débattre de l'utilisation militaire de l'espace. À partir de cette date, l'administration Eisenhower deviend attentive au rôle militaire de l'espace et à celui des satellites de reconnaissance en particulier. Ainsi, le 14 février 1955, dans un document intitulé "Prévenir la menace d'une attaque surprise ", un groupe d'experts présidé par James Killian, directeur du MIT, recommande de commencer immédiatement le développement d'un petit satellite qui opérerait au-dessus des pays étrangers. Toutefois, James Killian considére par la suite que ce programme de satellite estt secondaire et lui refuse son soutien actif jusqu'à l'avènement du Spoutnik. Entre les intentions et les décisions, un long chemin reste à parcourir. Et ce n'est que le 30 juin 1956 que commenceront les études d'un prototype de satellite de reconnaissance avec l'intention de le mettre en orbite fin 1963. Ce projet dénommé WS 117L sera connu plus tard sous le nom de "Sentry" puis de " Samos Von Braun, l'ancien concepteur du V2 à Peenemùnde, en Allemagne, de 1937 à 1945, récupéré par les Américains et qui agit au sein de l'Army, présente en juin 1954 un projet qu'il appelle "Orbiter". L'idée consiste à utiliser des éléments de fusée existants, et notamment ceux du missile Redstone, pour lancer un satellite qui ne pouvait être que de taille modeste eu égard aux faibles performances du lanceur réalisable à l'époque. Cette démarche a le mérite de permettre aux Américains d'accéder rapidement à l'espace. Von Braun soumet donc son projet en septembre 1954 avec pour objectif le lancement d'un satellite de 7 kg au cours de l'été 1956. De son coté, la Navy propose de réaliser à partir de la fusée-sonde Viking un lanceur qu'elle appele Vanguard pour lancer un satellite de 18 kg dans le courant de l'été 1956 également. Après bien des discussions sur l'intérêt de retenir l'un ou l'autre de ces projets, une commission est nommée, la commission Stewart, et les propositions soumises aux voix de ses membres. Sur les 9 membres, 6 votent pour Vanguard et les trois autres pour Redstone/Orbiter. La décision tombe le 9 septembre 1955 le vainqueur est la Navy, et le président Eisenhower l'annonce officiellement. L'une des raisons majeures motivant ce choix était que le président Eisenhower avait recommandé que le premier satellite américain soit mis en orbite par un lanceur civil, et donc non issu des missiles balistiques. C'était le cas du lanceur Vanguard de la Navy et non du Jupiter, nouveau missile de l'Army. De plus, dans l'entourage d'Eisenhower, certains souhaitaient que le premier satellite américain soit lancé par des Américains plutôt que par les Allemands de l'équipe de von Braun. D'autant que ces Allemands avaient été au service des nazis pendant la guerre. Le lien réel de ces scientifiques avec l'idéologie nazie sera bien souvent l'objet de polémiques aux États-Unis. Les Soviétiques, afin de déstabiliser les activités spatiales américaines, sauront à plusieurs reprises jeter le doute dans l'opinion américaine. Entre-temps, en octobre 1954, lors d'une réunion à Rome, le Conseil international des nations scientifiques adopte une résolution visant au lancement de satellites artificiels pendant l'Année géophysique internationale devant se dérouler du 1er juillet 1957 au 31 décembre 1958. Ces satellites doivent avoir pour objectif de dresser la cartographie de la surface terrestre. L'Union soviétique et les États-Unis sont alors les seuls à relever le défi. Le 26 mai 1955, le Conseil national de sécurité américain donne son approbation à ce projet tout en précisant que cet effort devait être indépendant du développement des missiles balistiques, s'inscrire dans une démarche favorable à la paix et contribuer à établir le principe d'internationalisation de l'espace. Le 29 juillet suivant, le président Eisenhower annonçe officiellement l'intention américaine de lancer un satellite. Six mois auparavant, en janvier, Radio-Moscou avait annoncé une intention identique. LA GUERRE FROIDE C'est donc à la mi-1955 que la compétition spatiale soviéto-américaine prend véritablement naissance. La tension entre les deux pays va progressivement monter. En août, lors du Congrès international d'astronautique qui se tient à Copenhague, Leonid Sedov, porte-parole de la délégation soviétique et responsable de la Commission des études interplanétaires à l'Académie des sciences, annonce simplement que le satellite soviétique sera prêt le premier et qu'il sera plus gros que le satellite américain. Comme les États-Unis envisagent le lancement de leur satellite avec le lanceur Vanguard pour décembre 1957, il est raisonnable de penser que les Soviétiques visent l'automne de cette même année, et, bien sûr, pourquoi pas le 17 septembre, date du centième anniversaire de la naissance de Tsiolkovski, le grand pionnier russe de l'astronautique. C'est d'ailleurs ce que semble confirmer Sedov, qui déclare que les Soviétiques envisagent de célébrer cet anniversaire "de façon beaucoup plus extraordinaire que ce que vous pouvez imaginer ". On apprendra plus tard que cette date était bien celle visée mais que les retards dans la mise au point de la fusée Semiorka avaient contraint de différer le lancement. En juin 1957, les États-Unis commencent àavoir une idée précise des intentions de leur adversaire. Allen Dulles, directeur de la CIA, déclare que l' URSS s'efforcera d'être la première à lancer un satellit et probablement en 1957. La fusée qui lancera ce satellite et qui deviendra le fer de lance de toute l'astronautique soviétique encore utilisée aujourd'hui, prend naissance en 1953. Le Conseil des ministres de l'URSS décide de construire une fusée capable de transporter une bombe thermonucléaire d'une masse voisine de 6 tonnes. Ce qui devait conduire à une fusée révolutionnaire dans sa conception et imposante par rapport aux missiles jusqu'alors réalisés. Sa masse devait atteindre 267 t contre 42 t pour celle du dernier missile réalisé, le R12 (SS4 dans la dénomination américaine). Cette fusée est imaginée par un homme de génie, Sergueï Pavlovitch Korolev, qui laissera son nom dans l'histoire spatiale, et montre dès 1954 que ce missile, le R7, peut être transformé en lanceur spatial capable de mettre en orbite basse un satellite de 1 400 kg environ. Cette idée de satellite germe dans sa tête depuis mai 1954, il propose cet objectif au Conseil des ministres, puis le 25 juin 1955, c'est-à-dire un mois avant la décision américaine de lancer un satellite à l' occasion de l'Année géophysique internationale, il établi un rapport sur la nécessité d'explorer l'espace au moyen de satellites et même d'envoyer des sondes vers la Lune et de réaliser des vols habités. Le 30 août suivant, une réunion du présidium de l'Académie des sciences, à laquelle participaient notamment l'académicien et mathématicien Keldych, Korolev et Glouchko, le grand constructeur de moteurs-fusées soviétiques, approuve la proposition et demande même qu'un vaste programme scientifique soit engagé pour l'étude de l'ionosphère, des rayons cosmiques, du champ magnétique, de la luminescence de l'atmosphère terrestre et du Soleil. Ce programme prévoyait aussi la réalisation de satellites à vocation biologique emportant des animaux. En 1954 une commission pour l'organisation des communications interplanétaires est créée auprès du conseil astronautique de l'Académie des sciences et Radio-Moscou engage vivement les Soviétiques à se préparer à la conquête spatiale. Le 30 janvier 1956, la décision de construire le premier satellite à vocation scientifique (objet D) est prise. Une commission présidée par Keldych est créée pour la réalisation de ce satellite qui devient donc le rival de Pamplemousse, l'équivalent (beaucoup plus modeste) de la Marine américaine. Le 25 février, les spécifications techniques sont arrêtées, et le projet définitivement accepté par l'Académie des sciences et le Comité central le 28 septembre. Aux États-Unis, l'US Army et von Braun, qui avaient été écartés du projet de lancement de satellites en septembre 1955, poursuivirent néanmoins en secret leurs travaux. En mai 1956, le général Medaris, le patron de von Braun, revient à la charge en proposant au département de la Défense d'utiliser une fusée Jupiter C comme solution de remplacement au Vanguard de la Marine. Jugée inopportune, cette proposition est rejetée. Jupiter C est en fait un missile Redstone amélioré dont plusieurs exemplaires sont en cours de réalisation afin d'effectuer des études de véhicules de rentrée atmosphérique pour le Redstone. Si Jupiter C est un missile, il est néanmoins très proche d'un lanceur spatial il ne lui manque qu'un quatrième étage. Un premier essai a lieu avec succès le 21 septembre 1956 à partir de cap Canaveral. Le missile culmine alors à 1 100 km et atteint une portée de 5 400 km. Si les travaux sur Jupiter C progressent de façon très satisfaisante, ce n'est pas le cas pour Vanguard. Après avoir défini les spécifications le 29 février 1956, la société Martin Co. et le Naval Research Laboratory ont bien des difficultés à se mettre d'accord sur les caractéristiques nécessaires au troisième étage notamment. Bref, le contrat de réalisation est tout de même signé le 30 avril 1956. Le succès de Jupiter C n'est pas apprécié par tout le monde. Les responsables du Pentagone soupçonnent l'Army de transgresser les ordres et de vouloir mettre en orbite un satellite, y compris de façon involontaire, et de s'en excuser après coup. La vitesse atteinte par Jupiter C le 21 septembre 1956 est à 90 % celle nécessaire à la satellisation. Afin que l'équipe de von Braun ne réalise pas la satellisation ce jour-là, le Pentagone a demandé au général Medaris, le patron de von Braun, de vérifier personnellement avant le tir qu'un quatrième étage n'a pas été installé sur la fusée. Les ordres n' ont pas été transgressés. Il y avait bien un quatrième étage, mais dont la poudre avait été remplacée par du sable pour simuler une masse identique. Il est clair que si, ce jour-là, l'US Army avait eu l'autorisation de mettre un satellite en orbite, le cours de l'histoire spatiale aurait été changé. Le 26 novembre 1956, le Pentagone, qui entend se faire respecter et ne pas se faire déborder par l'Army, limite les prérogatives de cette dernière aux missiles à courte portée, c' est-a-dire ne dépassant pas 320 km, ce qui lui interdit de fait de réaliser un lanceur spatial. En effet, celui-ci n'est réalisable qu'à partir de missiles intercontinentaux, qui deviennent de la responsabilité de l'US Air Force. Pour les États-Unis, la compétition dans l'espace n'est pas qu'avec l'Union soviétique, elle est surtout interne. Dans ces deux pays, l'année 1956 voit une accélération du développement du lanceur et du satellite. La compétition spatiale s'exacerbe. Du côté russe, il apparait que le
satellite prévu ne sera pas prêt avant de nombreux mois, alors que le
premier tir de la R7 est envisagé pour mars 1957. Ce délai de mise à
disposition du satellite oblige alors Korolev à changer de stratégie. Le 5
janvier 1957, il informe le Conseil des ministres qu'il est souhaitable de
réaliser en toute hâte un satellite rudimentaire, qu'il appele PS 1
(Prosteïchii Spoutnik 1 ou " satellite le plus simple n° 1). Sans
attendre la réponse des autorités, Korolev, inquiet de voir les Américains
le doubler, lance rapidement la fabrication de ce satellite. Les Américains enverront d'ailleurs un
avion de reconnaissance de type U2 survoler le site et, le 27 août, les
journaux soviétiques publieront la nouvelle. Pour la première fois, un
missile à portée intercontinentale a été tiré. (Les Américains
n'obtiendront un résultat identique que le 17 décembre 1957 avec leur
missile Atlas.) SPOUTNIK, PREMIÈRE BATAILLE GAGNÉE PAR LES SOVIÉTIQUES Dans le poste souterrain de contrôle des
opérations de lancement, S. P. Korolev et son adjoint chargé des essais, L.
A. Voskressenski, ont les yeux rivés sur les périscopes leur donnant l'image
du site de lancement. À quelques mètres derrière se tiennent Riabikov et
les membres de la commission d'État. L'ordre est alors donné au colonel A.
I. Nossov, chef de l'équipe de lancement, de procéder au tir. Il appuie sur
le bouton. Il est 22 h 28 min 34 s, heure de Moscou. Le lanceur s'élève
lentement et prend de plus en plus de vitesse. Cinq minutes et 14,5 secondes
plus tard, le premier satellite de la Terre est en orbite. Un bip-bip-bip
informe l'humanité de l'événement. Korolev, très ému, n'attend pas pour
réunir les artisans de ce succès. Le retentissement est mondial. Au Kremlin, Nikita S. Khrouchtchev savoure le succès avec délectation et non sans quelque surprise, d'autant que de nombreux télégrammes de félicitations affluent du monde entier. L'Union soviétique a pris un avantage technologique et psychologique considérable sur l'Occident. Une nouvelle ère s'ouvre dans l'histoire de l'humanité, et l'URSS en est à l'origine. Pour Khrouchtchev, une chose est désormais claire il faut maintenir, voire accroître cette avance. Il convient dès lors de donner au pays les moyens budgétaires, matériels et humains nécessaires. Khrouchtchev prend à cette époque conscience que les fusées, qu'elles soient civiles ou militaires, sont une arme politique, idéologique et médiatique extraordinaire. Il en sera toujours un fervent supporter. Mais, pour l'heure, il s'agit de montrer au monde entier que ce succès n' est pas le fruit du hasard mais le résultat d'une véritable politique spatiale étatique. Khrouchtchev demande alors à Korolev de procéder à un nouveau lancement à l'occasion du 40e anniversaire de la révolution d'Octobre. L'objet D n'étant toujours pas prêt, Korolev propose de faire un second "coup" médiatique avec le lancement de la chienne Laïka, le premier être vivant de l'espace. Il ne lui restait plus qu'à rappeler ses collaborateurs qui, comme lui, n'avaient pas pris de vacances depuis dix ans et auxquels il avait accordé quelques jours de repos. Un nouveau défi les attend. Hors d' Union soviétique, et en particulier
aux Etats-Unis, la surprise est totale. On n'attendait pas les Soviétiques
aussi tôt. Ainsi, le docteur Kaplan, président de la commission américaine
de l'Année géophysique internationale, déclare que "si les
Soviétiques ont pu lancer un satellite de 83 kg ils peuvent aussi en lancer
un beaucoup plus lourd ". Par ailleurs, les milieux scientifiques
américains se demandent si le satellite n'a pas été mis en orbite à l'aide
de la fusée intercontinentale que les Soviétiques venaient de mettre au
point. De son côté, le New York Herald Tribune présente cet événement
comme étant une "grande défaite des États- Unis ". Alors que M.
Wilson, secrétaire à la Défense, avait fait des commentaires plutôt
ironiques sur la fusée intercontinentale soviétique, son successeur, M.
McElroy, indique " qu'il fallait désormais prendre ks Russes au sérieux
". L' évènement est aussi traiter avec dérision, un des responsables
du Pentagone va même jusqu'à déclarer que ce satellite est "un morceau
de ferraille que n'importe qui aurait pu lancer". Des voies s' élèvent
pour affirmer que la mise en orbite de ce satellite est une menace pour les
États-Unis. Ainsi, on estime qu'une bombe à hydrogène pourrait désormais
être lancée sur New York ou sur Washington sans que les Américains
disposent de plus d'un quart d'heure pour préparer la riposte. Bien sûr,
cela ne veut pas dire que les Russes sont désormais les maîtres du monde,
mais ils se trouvent au moins à égalité avec les Américains, sinon quelque
peu en avance technologiquement. Il est aussi intéressant de noter que la
diplomatie soviétique a cherché à tirer avantage de l'événement, guerre
froide oblige Ainsi, Andreï Gromyko, ministre des Affaires étrangères de
l'URSS, demande dès le 5 une entrevue à son collègue américain, M. Dulles,
laquelle a duré plus de trois heures. Ce jour-là s'ouvre à Washington une
conférence de six jours sur l'organisation de l'Année géophysique
internationale. Dès l'ouverture, Anatoly Blagonravov, le chef de la
délégation soviétique, annonçe qu'un satellite soviétique sera lancé
très prochainement. Rien de plus n' est dit. Pour l'heure, la technologie soviétique est triomphante. Le lancement de ce premier satellite, que les médias soviétiques appelleront "Spoutnik " (compagnon, en russe) quelques jours après, fait déjà imaginer les étapes ultérieures de la conquête spatiale. Dans la presse, on évoque qu' avant huit ans, on atteindra la Lune, et Mars avant dix ans. En attendant cette future étape, la lutte entre Américains et Soviétiques est désormais bien engagée. Mais, pour le moment, les États-Unis vivent un second Pearl Harbor. Cette fois-ci, il n'est pas militaire mais politique, technologique et médiatique. Il se trouve qu'en cette soirée historique du 4 octobre 1957, à des milliers de kilomètres de Baïkonour - qui, pour le moment, n'est toujours pas identifiée par l'Occident -, le général Medaris et von Braun reçoivent, dans leur fief de l'arsenal Redstone à Huntsville (Alabama), le futur ministre américain de la Défense Neil McElroy. C'est au cours du cocktail organisé en son honneur que la nouvelle du lancement du Spoutnik leur parvient. " Quand je pense que nous aurions pu satelliser avec notre Redstone il y a deux ans ! ", dit von Braun immédiatement après cette annonce à McElroy. "Donnez-moi l'autorisation et nous aurons un satellite en orbite dans soixante jours ", ajoute-t-il. "Disons quatre-vingt-dix ", corrige le général Medaris. Mais aucune décision ne peut être prise. Il faut, en effet, attendre encore quatre
semaines avant que McElroy occupe le poste de ministre de la Défense. Le
général Medaris ne reste pas inactif pour autant. Il parvient à convaincre
son chef, le général Gavin, d'outrepasser les ordres d'Eisenhower et de
charger von Braun de préparer le lancement d'un satellite avec une fusée
Jupiter C. C'est ainsi que le Jet Propulsion Laboratory et l'université de
l'Iowa s'engagent rapidement dans la réalisation du satellite Explorer 1. À
ce stade, il est étonnant d'observer que la construction et le lancement du
premier satellite américain se feront sous la pression des Soviétiques et
contre l'avis et les directives du président des États-Unis. Deux jours après avoir pris ses fonctions, le 8 novembre, McElroy, le nouveau ministre de la Défense, donne le feu vert et trois millions et demi de dollars à l'équipe de von Braun pour convertir Jupiter C en lanceur et procéder à un tir pour le 30 janvier suivant. En ajoutant un quatrième étage, on passe de Jupiter C à Juno 1. La masse au lancement est de 29 t, et la masse des satellites qu'il peut embarquer, de l'ordre d'une quinzaine de kilogrammes. On est loin des 267 t de la Semiorka soviétique et de sa capacité d'emport de 1 400 kg. Alors que les premiers exploits spatiaux soviétiques se déroulent, beaucoup d'Américains accusent l'administration Eisenhower de négliger les programmes spatiaux. Le gouverneur démocrate du Michigan, G. Mennen Williams, écrit même un poème à la gloire du Spoutnik dans lequel il déplore que le président Eisenhower s'intéresse plus au golf qu'à relever le défi soviétique. Le 25 novembre 1957, lors d'une réunion de la commission des Forces armées au Sénat à laquelle participe le futur président Lyndon B. Johnson, la politique spatiale américaine est vivement critiquée et George E. Reedy, proche de Johnson, dit ce que beaucoup d'Américains pensent: "Nous ne devons plus considérer les Russes derrière nous en matière de technologie. Il leur a fallu quatre années pour être à notre niveau sur la bombe atomique et neuf mois sur la bombe à hydrogène. Aujourd'hui, nous sommes en retard sur eux dans les satellites. " Quelques jours plus tard, la Maison-Blanche annonce le lancement de Vanguard pour le 6 décembre. Le 6 décembre 1957, c'est-à-dire deux mois après le lancement du Spoutnik, la Navy est prête avant l'Army: un lanceur Vanguard est disposé sur le pas de tir de cap Canaveral pour mettre en orbite le premier satellite américain. Sa masse est de 1,54 kg. Cette tentative s'achève, deux secondes après le décollage, par l'explosion du lanceur sous les yeux de la presse et des invités, qui voient le satellite tomber à terre au milieu d'un déluge de feu. Les Soviétiques, cyniques, envoient leurs condoléances. Après l'humiliation infligée par les Soviétiques, c'est leur propre technologie qui humilie les Américains. La presse américaine parle de "Kaputnik ", de "Flopnik " ou de "Puffnik ". La faillite est totale. L'image de l'Amérique et de l'Occident spatial n'aura jamais été aussi ternie. EXPLORER 1 Fin janvier 1958, à cap Canaveral, les
équipes de la Navy A et de l'Army sont à nouveau à pied d'oeuvre. La Navy
compte effacer son échec du 6 décembre par un lancement effectif le 26
janvier. Mais les dieux de l'Espace ne sont pas de son côté : un incident
technique contraint à reporter le tir au 3 février. Entre-temps, le
lancement de Juno 1 est programmé pour le 29 puis le 30 janvier. Toutefois,
les mauvaises conditions météorologiques obligent à remettre le tir au
lendemain. Il faudra attendre le 17 mars 1958 pour voir Vanguard mettre enfin en orbite son premier satellite, d'une masse de 1,54 kg et dénommé "Pamplemousse" en raison de sa petite taille. Il sera le second satellite américain. Au total, sur les onze lancements de Vanguard, seulement trois seront des succès. Les causes du retard américain seront évoquées dans un mémorandum de L. B. Johnson au Congrès le 11 avril 1958: "La raison, disait-il, pour laquelle les États- Unis se retrouvent derrière la Russie dans le développement des satellites est inhérente au fait que nous avons négligé le lien existant entre la science et les relations internationales. " Mais deux mois auparavant, l'administration avait réagi puisque le président Eisenhower avait demandé à son conseiller scientifique récemment nommé, James R. Killian, de lui faire des propositions. L'une d'entre elles aboutira à la création, le 29 juillet 1958, de la NASA, la National Aeronautics and Space Administration. En ce début d'année 1958, l'honneur des États-Unis était en partie retrouvé, mais le porte-drapeau du bloc capitaliste se jurait de ne plus jamais être en retard dans la course à l'espace. Ce qu'il ne savait pas alors, c'est que l'avance soviétique était plus importante encore qu'il ne l'imaginait. Le chemin vers la suprématie spatiale était encore long, et il lui faudrait jusque-là accepter bien des succès de l'adversaire, d'autant que Khrouchtchev entende aller plus loin dans la confirmation de la supériorité spatiale du bloc communiste dans le domaine de l'espace. Néanmoins une chose était sûre : la course était définitivement lancée. Décembre,
Von Braun propose un lanceur de 680 tonnes de poussée qu’ il baptise le
« Super Jupiter ». Dès le mois d' avril, son équipe d’ ingénieurs,
proposait l’ étude de fusées lourdes capable de lancer 9 à 18 tonnes autour de la
terre et 2,7 à 5,4 tonnes vers les planètes.
D' après Jacques Vilain "A la conquête de la lune" Larousse.
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