PROJET GEMINI

 

Coût du programme. 1 303 millions de $.

Cabine Gemini. 3 200 kg. En forme de cône. 

2 parties : 

1o) une cabine récupérable de 2 750 kg (2 astronautes pouvaient se tenir côte à côte et respiraient de l'oxygène, d'où le nom de Gemini : les jumeaux). 

2o) un compartiment des instruments largués dans l'espace à la fin du vol. Calcul des manœuvres par une petite calculatrice pouvant effectuer 7 000 additions, 2 500 multiplications ou 1 200 divisions par seconde. L'avant était un petit cylindre contenant des radars destinés à s'emboîter dans une cavité équipant les fusées Agena que les Gemini devaient rejoindre dans l'espace. 

Moteurs : 

2 (45 kg de poussée) pouvaient propulser la cabine vers l'avant ; 
2 (38 kg de poussée) pouvaient la ralentir ; 
4 (45 kg de poussée) lui permettaient de se déplacer vers le haut, le bas, la gauche et la droite ; 
8 propulseurs (11 kg de poussée) servaient à contrôler la position. 

Carburant : liquides à base d'azote (les réservoirs pouvaient contenir 300 kg). 

Rentrée dans l'atmosphère : par 4 rétrofusées à poudre (1 130 kg de poussée chacune).

 

 

 

 

Le Projet Gemini est le deuxième programme spatial américain habité. Le Congrès américain donne son aval en 1961 pour le programme de vol Gemini avec deux hommes à son bord, le considérant comme une étape entre les vols précédents de Mercury avec un seul homme et les futurs vols d’Apollo à trois hommes à destination de la Lune. Le nom Gemini est basé d'après la troisième constellation du zodiaque, composée d'étoiles jumelles, Castor et Pollux. Gemini est le nom latin pour jumeau. 

Mercury avait prouvé que les astronautes pouvaient vivre en orbite jusqu'à 34 heures, mais la NASA voulait savoir si un équipement de vie plus sophistiqué pouvait fonctionner et si les astronautes pouvaient supporter la durée nécessaire à un voyage sur la Lune en chute libre et en apesanteur. Le Projet Gemini utilisa le réseau global de poursuite et de communications élaboré par la NASA pour le Projet Mercury. 

Le vaisseau spatial Gemini était similaire à la capsule Mercury à l'extrémité émoussée : il mesurait 5,80 mètres de long et 3 mètres de diamètre à la base pour un poids de 3 800 kg. Gemini disposait de 50 pour cent d'espace supplémentaire, par rapport à Mercury, mais pesait deux fois plus. Son entretien était toutefois simplifié. Des couchettes étaient disposées côte à côte dans la cabine de la capsule Gemini en face d'un nez cylindrique abritant un mécanisme d'arrimage et des parachutes. Collins, pilote de Gemini, comparait le volume de la cabine et les couchettes aux sièges avant d'une Coccinelle Volkswagen. Les astronautes Borman et Lovell de Gemini vécurent deux semaines dans ce minuscule espace. Des sacs en plastique de nourriture lyophilisée étaient rendus liquides à l'aide d'un pistolet à eau, et le premier cocktail de crevettes fut dégusté dans l'espace. Les astronautes urinaient dans des récipients qui étaient jetés par-dessus bord. Pour les déchets solides, ils utilisaient des sacs en plastique adhésifs qu'ils ramenèrent sur terre. La partie située derrière la cabine comportait quatre fusées permettant de ralentir le vaisseau spatial pendant la rentrée dans l'atmosphère. Gemini était plus facile à manœuvrer que Mercury. Un adaptateur arrière comprenait 16 fusées de manœuvre, des batteries de piles à combustible pour l'électricité et une réserve d'oxygène. Pour l'atterrissage, l'équipage séparait la cabine avant, permettant de rentrer, de la partie arrière de l'adaptateur et alluma quatre fusées. Les fusées et l'adaptateur furent largués lors de la rentrée dans l'atmosphère. Huit propulseurs stabilisaient la capsule qui avait gagné de la portance dans l'atmosphère. A une courte distance, les astronautes pouvaient contrôler le point d'atterrissage de Gemini en faisant rouler la capsule. Conrad, Lovell, Stafford et Young volèrent deux fois à bord de Gemini. 

 

 

 

 

 

Le programme spatial Gemini, deuxième volet de la trilogie spatiale américaine des années 60, après Mercury et avant Apollo, apparaît aujourd’hui comme le programme fondateur des vols spatiaux habités. C’est avec Gemini que les Etats-Unis ont entrepris un long travail d’exploration et d’approfondissement des techniques de rendez-vous, d’activités extra-véhiculaires et de séjours de longue durée.

Le projet Mercury, préambule nécessaire à la conquête spatiale habitée, limitait son ambition à un aller-retour de l’homme dans l’espace. Le Space Task Group de la NASA ressentit très vite le besoin d’améliorer la capsule Mercury, pour de futures opérations au contour encore vague. Il profita des travaux du Comité Goett, réuni pour la première fois en mai 1959, pour développer ses idées, inspirées par les réflexions en cours à Langley sur une station spatiale habitée. Kurt Strass, au nom du Space Task Group, présenta au comité le projet d’une capsule agrandie, biplace, capable de rester trois jours en orbite et à laquelle pourraît être adapté un module cylindrique habitable, disposant de ressources suffisantes pour une mission de deux semaines.

De son côté, McDonnel Aircraft Corporation, constructeur de la capsule Mercury, mena une étude parallèle. En septembre 1959, elle publia un rapport préconisant six objectifs post-Mercury, parmi lesquels une mission de longue durée (14 jours), une capacité de manoeuvre orbitale, le guidage autonome de la capsule et son contrôle atmosphère vers un point de rentrée précis. En août 1960, McDonnel reprit à son compte l’idée de mini-station orbitale exposée par Kurt Strass au comité Goett. La proposition retenait une capsule Mercury lancée, avec son laboratoire cylindrique, par une fusée Atlas-Agena.

Mais la NASA avait d’ores et déjà abandonné le projet de station au profit de la mission de débarquement lunaire Apollo, suivant un schéma utilisant ou non le rendez-vous orbital. La question était désormais de savoir comment faire évoluer Mercury pour aider le développement d’Apollo. Pour le Space Task Group, servir le projet lunaire signifiait acquérir l’expérience du vol de longue durée et, sans doute, explorer puis mettre au point la technique du rendez-vous. Pour cela, une capsule Mercury largement modifiée serait nécessaire.

Cependant, préparer Apollo n’avait de sens que si Apollo existait officiellement. Ce n’était pas le cas et personne ne connaissait encore les intentions du nouveau président, John F. Kennedy. En outre, transformer la capsule Mercury afin de permettre la maîtrise des rendez-vous orbitaux ne convenait pas du tout au directeur des programmes de la NASA, Abe Silverstein, qui était un chaud partisan de la méthode du vol lunaire direct. En visite au Space Task Group, Silverstein rejeta sans surprise la métamorphose envisagée.

Il fit néanmoins deux concessions. L’une concernait la reprise de l’étude d’une mission Mercury "dix-huit orbites" (également baptisée "Manned One-Day Mission" ou MODM), en sommeil depuis octobre 1959. L’autre, plus intéressante, autorisait une reconfiguration minimale de la capsule existante, dans le seul but de simplifier et de raccourcir les opérations de contrôle et de maintenance. Le 1er février 1960, Robert R. Gilruth, directeur du Space Task Group, confia cette double tâche à James A. Chamberlin.

Chamberlin dirigeait alors, pour le compte d’AVRO Company, le développement de l’intercepteur CF-105 Arrow, qui fut brutalement abandonné. Il accepta de travailler pour la NASA et devint directeur technique du projet Mercury. Mais il interpréta son mandat, au demeurant fort limité, comme une carte blanche pour revoir, de fond en comble, la conception de la capsule. Dès la première réunion avec les ingénieurs de McDonnell, Chamberlin fixa le principe général de la reconfiguration : il fallait passer d’une capsule expérimentale, Mercury, à un vaisseau spatial opérationnel, c’est-à-dire fiable et flexible, Mercury Mark II.

La faiblesse évidente de Mercury résidait dans sa conception intégrée. Presque tous les équipements étaient logés dans l’habitacle confiné, où ils exploitaient le moindre espace disponible. Les constituants d’un même sous ensemble fonctionnel étaient souvent éparpillés et reliés par des longueurs incroyables de cablages ou de tuyauterie. Aucune accessibilité par l’extérieur n’avait été prévue. Le prélèvement d’un matériel défectueux nécessitait presque toujours le démontage préalable de matériels adjacents. Il fallait donc ensuite controler non seulement l’élément réparé mais aussi ceux qui avaient été dérangés et réinstallés.

Chamberlin préconisait une conception où les sous-ensembles fonctionnels étaient "modularisés", c’est-à-dire où toutes les pièces d’un même sous-ensemble trouvent place dans un module remplaçable sans interférence avec un autre. Tous les modules sont alors installés à l’extérieur de la cabine pressurisée pour faciliter leur accessibilité et permettre aux techniciens de travailler en même temps sur plusieurs sous-ensembles.

La fiabilité et la flexibilité recherchées trouvaient une première réponse dans cette organisation modulaire, adaptable au profil de la mission à accomplir. Ces qualités opérationnelles allaient encore être renforcée par la diminution de l’automatisation au profit d’une plus grande responsabilité confiée à l’astronaute (en laissant l’homme agir à la place de la machine, on supprimait ainsi les trois-quarts des relais électriques nécessaires).

A mesure que l’avenir du programme lunaire s’éclaircissait, on pouvait commencer à songer à des missions Mercury complémentaires qui viendraient en soutien du programme Apollo. Chamberlin exposa à Silverstein la réflexion en cours chez McDonnell sur un vaisseau Mercury Mark II et Silverstein approuva la poursuite d’un effort limité.

Le marché NAS 9-119, notifié à McDonnell en avril 1961, mobilisa une quarantaine d’ingénieurs pour écrire les spécifications techniques de Mercury Mark II, à partir des orientations fixées par Chamberlin. L’accent fut mis sur la sécurité. Sur Mercury, en cas de problème au lancement ou dans la toute première phase de vol, une tour de sauvetage équipée d’une fusée devait éjecter la capsule loin du lanceur et du pas de tir. Abandonnée après la première phase de vol, cette tour était très pénalisante en poids et nécessitait un séquenceur de déclenchement assez complexe et rapidement inutile. Le dispositif était en outre très sensible et des mises à feu intempestives s’étaient déjà produites. Pour Mercury Mark II, Chamberlin proposa de remplacer la tour par des sièges éjectables, actionnés par les astronautes et utilisables non seulement au cours du décollage mais aussi lors du retour, lorsque la capsule planerait sous son aile-parachute.

L’amerrissage, à l’issue d’une descente en parachute, restait acceptable pour une capsule Mercury expérimentale, incapable de maîtriser avec précision son point de retour sur Terre. Mais un vaisseau opérationnel devait pouvoir contrôler parfaitement sa rentrée atmosphérique jusqu’à l’amerrissage final. Le cahier des charges exigeait un rayon maximal de dispersion inférieur à seize kilomètres autour du point de retour théorique. Pour cela, le vaisseau serait très légèrement portant pour autoriser de petites corrections de trajectoire pendant la descente. Un calculateur, couplé à un système de guidage autonome, indiquerait ces corrections au pilote.

Un ingénieur de Langley, Francis Rogallo, travaillait également sur un concept d’aile-parachute (paraglider). Déployé en vol comme un parachute, cette aile en forme de "V" serait mise en oeuvre pour les manoeuvres à basse altitude et l’atterrissage horizontal. Werner von Braun s’intéressait au concept pour la récupération d’étages de fusée. Le Space Task Group y réfléchissait dans la perspective d’Apollo. Chamberlin s’empressa d’associer l’aile Rogallo au projet Mercury Mark II, en dépit des nombreuses questions en suspens (comment stocker l’aile dans le vaisseau ? quelles seraient les caractéristiques aérodynamiques de déploiement ? l’équipage, placé directement sous l’aile, aurait-il une visibilité suffisante pour l’atterrissage ?)

En juin 1961, les résultats de l’étude de conception de Mercury Mark II fut présentée à George Low, l’adjoint de Silverstein, Bob Gilruth et huit autres membres du Space Task Group. Ceux-ci étaient restés dans l’idée d’une capsule réorganisée de façon minimale pour autoriser la mission "dix-huit orbites" et faciliter le travail des techniciens de contrôle et de maintenance. Chamberlin leur présenta un vaisseau qui n’avait plus qu’un rapport lointain avec Mercury, hormis sa forme générale et sa capacité monoplace. Low et Gilruth cachèrent mal leur embarras. Le projet était séduisant mais le seul objectif post-Mercury autorisé par Silverstein restait une capsule de plus grande autonomie, capable de préparer les missions de longue durée nécessaires à Apollo.

McDonnell avait poursuivi son étude bien au-delà du marché NAS 9-119, sur financement propre. Début 1961, l’entreprise avait consacré 23 000 heures d’ingénieurs sur Mercury Mark II, pour 9 000 financées par la NASA et travaillait désormais sur une variante biplace du vaisseau reconfiguré, suite à une suggestion de Max Faget, un ingénieur du Space Task Group. Parmi les modifications proposées, on notait aussi une porte d’accès au vaisseau agrandie, afin de facilité l’entrée de l’équipage et son évacuation, avec mise en oeuvre éventuelle du siège éjectable. La généreuse ouverture convenait à Faget qui songeait à une sortie extra-véhiculaire. L’opération supposait la présence d’un deuxième astronaute dans l’habitacle, pour surveiller et assister la sortie d’un "piéton" de l’espace, d’où la nécessité de la variante biplace du vaisseau.

Lorsque Abe Silverstein et Bob Gilruth visitèrent les ateliers McDonnell, trois maquettes retenant les différentes configurations possibles leur furent présentées. La plus audacieuse proposait un vaisseau biplace, retenant l’ensemble des améliorations préconisées. Et, contre toute attente, c’est elle qui fut choisie par Silverstein pour une étude plus approfondie. Que signifiait ce changement de cap ?

Deux mois après le lancement officiel du programme Apollo, l’effervescence régnait à la NASA. Pour tenir l’objectif fixé par le président Kennedy, il fallait se résoudre à abandonner la solution du vol direct et engager, le plus tôt possible, des missions pour la maîtrise des techniques de rendez-vous orbital. Là serait véritablement la justification d’un nouveau programme. Le vaisseau Mercury Mark II y trouverait son emploi, à condition d’avoir la capacité de manoeuvrer vers une cible désignée pour des opérations de rendez-vous et d’amarrage en orbite.

Mais, dans sa justification même, le projet trouvait sa principale contrainte : des délais de réalisation très serrés. Les missions Mercury Mark II devaient se terminer avant le début des vols Apollo, soit en 1965. Le calendrier exigeait donc, chaque fois que possible, l’emploi de matériels existants ou disponible à très court terme. Cette politique, aussi raisonnable sur le plan technique que sur le plan financier, dicta en priorité le choix du lanceur et de la cible.

Un des directeurs de la Martin Company avait proposé au directeur opérationnel de la NASA, Robert C. Seamans, l’emploi du missile Titan II comme lanceur dans le cadre du programme lunaire. Abe Silverstein fit savoir que le projet Apollo était irrémédiablement lié aux produits de la famille Saturn, mais il accepta d’étudier son utilisation dans le cadre du programme Mercury Mark II.

De toute évidence, la fusée Atlas, déjà très limitée pour satelliser les presque deux tonnes de la capsule Mercury, ne pourrait servir un vaisseau Mercury Mark II d’environ trois tonnes. Un autre lanceur s’imposait et Titan II, deux fois et demi plus puissant, semblait mieux adapté. Certes, la fusée n’avait pas encore volé mais le premier tir de qualification était annoncé pour le début de l’année 1962, avec une mise en service opérationnelle prévue pour 1963, juste à temps pour Mercury Mark II. En outre, l’Air Force acceptait de prendre en charge tous les frais fixes générés, non seulement par le développement de l’ICBM, mais aussi par son adaptation aux contraintes d’une charge utile habitée.

D’une masse totale de 150 tonnes, et d’une portée de 15 00 kilomètres, ce missile stratégique, développé depuis juin 1960 par l’Air Force, se démarquait des précédents (Atlas et Titan I) par l’utilisation d’hypergols. Il brûlait, dans deux étages, du tétraoxyde d’azote comme oxydant et un mélange d’hydrazine et de diméthylhydrazine dissymétrique (UDMH) comme combustible. L’étage d’accélération initiale développait au décollage 195 tonnes de poussée grâce à un moteur Aerojet LR 87-5 à double chambre de combustion. Le deuxième étage était équipé d’un moteur Aerojet LR 91-5 de 45.3 tonnes de poussée à son altitude de mise à feu.

Les hypergols ont la propriété de s’enflammer par simple mise en contact et ne nécessitent donc pas d’allumage extérieur. Ils sont par ailleurs utilisables à température ambiante et peuvent être stockés, sans limite de temps, dans les réservoirs. La fusée, une fois remplie, peut ainsi subir un arrêt prolongé du compte à rebours, voire un ajournement du tir, sans qu’il soit nécessaire de vidanger les réservoirs. Cette faculté allait s’avérer providentielle dans le cadre du programme Gemini...

L’absence de dispositif d’allumage illustrait l’effort de simplification et de fiabilisation mené, à partir de Titan I pour définir Titan II. La démarche coïncidait parfaitement avec la philosophie de conception appliquée à Mercury Mark II. Le lanceur et le vaisseau semblait faits l’un pour l’autre. Chamberlin en était convaincu et Bob Gilruth officialisa ce choix, en août 1961.

Le Space Task Group entra alors en contact avec la Lockheed Missiles and Space Company. Cette société développait, depuis 1957, pour le compte de l’Air Force, une fusée Agena, formant le deuxième étage d’une fusée composite Atlas-Agena. Disponible, affichant un taux de réussite flatteur pour l’époque, elle paraissait idéale, dans sa version nouvelle Agena B, pour tenir le rôle de cible spatiale au profit de Mercury Mark II.

Agena B volait depuis novembre 1960 et se distinguait par un moteur-fusée capable d’un réallumage et des réservoirs d’hypergols (UDMH, acide nitrique) de plus grande capacité. Le moteur serait d ’abord mis à feu après séparation du premier étage Atlas, pour l’opération initiale de mise sur orbite. Le vaisseau Mercury Mark II réaliserait ensuite un rendez-vous, suivi d’une jonction avec la cible satellisée. Enfin, une nouvelle mise à feu télécommandé d’Agena B permettrait le catapultage du vaisseau sur une orbite plus élevée.

Après le feu vert de Silverstein, fin juillet 1961, Chamberlin, assisté de George Low et Warren North, entreprit la rédaction du "plan de développement préliminaire pour un programme spatial avancé" utilisant le vaisseau Mercury Mark II, le lanceur Titan et la cible Agena B. La première mouture de ce plan fut soumise, en août 1961, à Robert Gilruth... qui la rejeta aussitôt ! Il faut dire que Chamberlin, fidèle à son esprit novateur, avait fait preuve d’une audace aussi brillante qu’exaspérante.

Dix missions Mercury Mark II devait s’échelonner de mars 1963 à septembre 1964. Le premier objectif du programme concernait les vols de longue durée. Après un premier vol inhabité, destiné à vérifier la compatibilité du vaisseau et de son lanceur, le vol numéro deux devait accomplir la fameuse mission "dix-huit orbites". Les équipages des vols trois et quatre devaient ensuite passer sept jours en orbite terrestre. Enfin, la sixième et la huitième missions devaient porter la durée de séjour à quatorze jours, mais les astronautes devaient à cette occasion céder leurs places à des singes. Les quatre autres missions (5, 7, 9 et 10) seraient consacrées à l’étude et à la mise au point des techniques de rendez-vous et de jonction sur orbite, deuxième et troisième objectifs du programme. La rentrée atmosphérique et l’atterrissage contrôlés venaient en quatrième objectif et le cinquième, induit, concernait l’entraînement des astronautes.

Un sixième objectif, avait été placé à part, en annexe, car sa portée était toute autre. Son accomplissement demanderait quatre missions supplémentaires. La cible Agena serait remplacée, au sommet de l’Atlas, par un deuxième étage plus puissant, le Centaur qui, brûlant un mélange d’oxygène et d’hydrogène liquides, pourrait catapulter le vaisseau spatial vers la Lune...

Gilruth se montra stupéfait : Mercury Mark II devait explorer les techniques nécessaires à Apollo, mais pas les appliquer à son propre profit, et au détriment du programme lunaire officiel. Chamberlin dût donc amender son projet. Mais une semaine plus tard, l’objectif Lune fit un retour spectaculaire dans un document distinct intitulé "Proposition de débarquement lunaire utilisant le rendez-vous". Une fusée Saturn C3 apparaissait suffisante pour lancer une charge utile d’environ douze tonnes, comprenant, outre le vaisseau Mercury Mark II, un véhicule lunaire monoplace. Le projet prévoyait un premier pas sur la Lune en janvier 1966 ! Là encore, Chamberlin essuya un refus, poli mais ferme. La proposition, au demeurant fort détaillée et très concrète, ne fut pas inutile. Elle encouragea la conversion du Space Task Group, au scénario du rendez-vous en orbite lunaire, finalement retenu pour Apollo.

Même dans sa version amendée, le programme déplaisait encore à Silverstein qui rappela que Mercury Mark II se justifiait avant tout par la nécessité d’explorer et de mettre en point les techniques de rendez-vous sur orbite terrestre. Or, moins de la moitié des missions prévues étaient consacrées à cet objectif. Il fallait accroître cette proportion. Par ailleurs, Silverstein ne voulait pas d’animaux, mais des astronautes, pour la longue mission de quatorze jours.

En octobre 1961, le Space Task Group examina la troisième version du plan. Le titre avait changé, s’était précisé. Le vaisseau Mercury Mark II ne servait plus un "programme spatial avancé" aux limites floues mais la "mise en oeuvre de rendez-vous" au service d’Apollo. De fait, sur les douze missions prévues désormais, huit se consacraient à cet objectif prioritaire. Après un premier tir de qualification, en mai 1963, onze vols habités suivraient, à raison d’un lancement tous les deux mois, entre juillet 1963 et mars 1965. Les trois premiers vols correspondraient à des séjours orbitaux de durée croissante (un, sept, puis quatorze jours). Puis viendraient les missions de rendez-vous orbital, suivi de jonction, avec des cibles Agena.

Le coût global du programme avoisinait 530 millions de dollars. Il couvrait principalement l’achat de douze vaisseaux Mercury Mark II, de quinze lanceurs Titan II (dont trois en réserve). Quant aux modifications à apporter au pas de tir 19 pour accueillir Titan II et au complexe 14 pour le véhicule Atlas-Agena, elles seraient prises en charge par l’Air Force.

Transmis à l’état-major de la NASA, le plan de développement reçut l’approbation définitive de Seamans en décembre 1961. Mercury Mark II n’attendait plus qu’un nom de baptême. Alex Nagy, du quartier général de la NASA, avait proposé Gemini et le choix s’imposa de lui-même. En effet, le vaisseau Mark II serait biplace et son lanceur serait Titan II. De plus, le rendez-vous supposait deux véhicules, deux étoiles se rencontrant au firmament, comme Castor et Pollux, les deux étoiles jumelles de la constellation des Gémeaux (Gemini, en anglais), dont le signe astronomique est II. Gemini était bien le seul nom possible...