LA MECANIQUE SPATIALE SIMPLIFIEE (5)

VERS LA LUNE.

La Lune est la plus proche voisine de la Terre, à une distance variant entre 363 300 et 405 500 kilomètres. Son orbite est en effet légèrement elliptique. La Lune tourne autour de la Terre en 27 jours un quart, à une vitesse d'environ 1 kilomètre-seconde. Toutes les particularités de son mouvement (plusieurs milliers) sont connues et consignées sur les registres des astronomes. Il n'y a donc aucune difficulté pour déterminer les conditions de l'envoi d'un engin spatial vers la Lune. Les principaux éléments sont:

_ La vitesse à donner au départ pour que la trajectoire soit une ellipse dont l'apogée se trouve à hauteur de l'orbite de la Lune, ou plus loin encore, de sorte que cette trajectoire coupe l'orbite lunaire
_ Le temps du trajet, afin que l'engin arrive au point choisi de l'orbite de la Lune exactement au moment où celle-ci s'y trouve aussi.
Vitesse de lancement et temps de trajet sont deux éléments solidaires.

Avec une trajectoire elliptique ayant son apogée à 380 000 kilomètres de la Terre, et résultant d'une vitesse de 10,96 kilomètres-seconde, la durée du trajet est de plus de 60 heures. Si le lancement a été opéré à la vitesse de libération de 11,11 kilomètres-seconde, le temps du trajet n'est plus que d'une quarantaine d'heures, 36 heures pour une vitesse excédant de 0,2 kilomètre-seconde la vitesse de libération, et 12 heures seulement pour une vitesse excédant de 1,5 kilomètre-seconde la vitesse de libération. Comme on le voit, des différences de vitesse tout à fait minimes au lancement abrègent le parcours de moitié ou des deux tiers.

Prenons le cas de la première sonde lunaire Lunik 3, lancé le 4 octobre 1959 par l'union soviétique. Il est lancé à une vitesse inférieure à la vitesse de libération, 11,05 kilomètres-seconde, ce qui correspond à un apogée de l'ellipse à environ 450 000 kilomètres de la Terre. Durée du trajet jusqu'à la Lune une soixantaine d'heures. On pourrait croire que l'intention des Soviétiques était de placer leur Luna sur une orbite enfermant en même temps la Terre et la Lune, pour prendre des photographies de la face arrière de la Lune, que jamais on ne voit de la Terre. Luna prit en effet ces photographies, mais en empruntant un trajet beaucoup moins simple. La sonde emprunta une première orbite, très allongée, mais très classique. Le 5 octobre, l'attraction lunaire commence à dévier légèrement l'engin alors qu'il est à uni-chemin. L'effet de cette attraction devient de plus en plus sensible à mesure que Luna approche de l'orbite de la Lune en même temps que la Lune approche du point où la trajectoire de la sonde doit couper théoriquement son orbite. La déviation représente un angle très marqué dans la journée du 6 octobre, et Luna avec la vitesse qu'elle a a ce moment-là et avec la direction de cette vitesse, se trouve placée sur une orbite entièrement nouvelle dont l'apogée est à environ 468 300 kilomètres de la Terre, et le périgée 5 48 280 kilomètres. Sur cette nouvelle orbite, la vitesse de l'engin à son apogée est de 0,35 kilomètre-seconde, et de 3,59 au périgée, alors que la vitesse au départ était de 11,05 kilomètres-seconde.

On voit que sans l'effet de l'attraction lunaire, Luna a non seulement changé d'orbite. ruais encore que son orbite finale était sur un plan autre que celui du lancement. Dans la journée du 7 octobre, la sonde a photographié la face inconnue de la Lune alors qu'elle s'en trouvait à une distance variant entre 60 000 et 70 000 kilomètres. En effet, elle a opéré pendant quarante minutes, tout en continuant sa route. Ce côté de la Lune n'avait jamais pu être vu de la Terre parce que la Lune, qui se déplace autour de la Terre sensiblement dans le plan de l'équateur terrestre boucle son orbite en 27 jours un quart, et tourne sur elle-même exactement dans le même temps.

Pour toute entreprise en direction de la Lune, dont Lunik est un exemple, il faut tenir compte de divers facteurs dont voici les principaux:

L'heure du départ doit avoir été très précisément calculée non seulement en fonction de la durée du trajet prévu, mais aussi parce que les plans dans lesquels s'effectuent les lancements d'engins spatiaux sont inclinés par rapport à l'équateur terrestre (U.R.S.S. de 65 à 90° U.S.A. de 45 à 90°) et que la rotation de la Terre leur fait balayer toutes les directions de l'espace en 24 heures. Le départ doit avoir lieu à l'instant exact de la journée où le point de l'orbite lunaire qu'on veut atteindre se trouve inclus dans ce plan de lancement.

Tout corps tombant en chute libre de l'infini s'écraserait sur le sol lunaire à 2.37 kilomètres-seconde, vitesse de libération de la Lune. Sur le parcours de la Terre à la lune, il est un point où l'attraction de la Terre cesse d'être prépondérante (ce qui n'empêche pas l'attraction lunaire de se manifester avant), et où l'attraction lunaire devient prépondérante (ce qui n'empêche pas l'attraction terrestre de continuer à se manifester ensuite). Ce point est sensiblement aux 9/10 eme du parcours Terre-Lune. Un corps qui se trouverait à ce point, très légèrement du côté de la Lune, avec une vitesse Zéro, tomberait en chute libre vers le sol lunaire. Le choc s'y produirait à une vitesse inférieure de très peu à 2,37 kilomètres-seconde. Or, la vitesse Zéro est inimaginable pour un engin lancé de la Terre. La vitesse qui lui reste au passage de ce point d'équilibre des attractions s'ajoute donc à la vitesse de chute que lui communiquera l'attraction lunaire. C'est pourquoi Lunik 3 a atteint son objectif à 3,3 kilomètres-seconde.

Le mouvement de la Lune autour de la Terre se fait à la vitesse de 1 kilomètre-seconde. Or, le plan sur lequel l'engin spatial dessine sa trajectoire reste fixe dans l'espace. La Lune se déplace donc aussi à 1 kilomètre seconde par rapport à lui. La vitesse réelle d'un Lunik par rapport à la Lune est la résultante de sa vitesse propre par rapport à la Terre et de la vitesse de la Lune par rapport à la direction de la trajectoire de l'engin.

 

LA SATELLISATION AUTOUR DE LA LUNE

Pour qu'un engin devienne satellite de la Lune, il faut qu'au, point de vue vitesse et direction du mouvement, il soit exactement dans les conditions qui seraient celles d'un satellite lunaire déjà sur orbite. La vitesse de satellisation circulaire est de 1,67 kilomètre-seconde au niveau du sol de la Lune et elle diminue très rapidement avec l'altitude : 1 kilomètre-seconde à 1 055 kilomètres, 0,75 km / s à 7 000 kilomètres d'altitude.

Les conditions de vitesse et de direction peuvent se trouver rassemblées du fait d'un lancement effectué depuis la Terre avec le maximum de précision. Les premières sondes Pionniers américains dans les années 1960 devaient tenter une satellisation de cette sorte, " à l'aveugle ". Ces conditions sont toutefois si délicates, et avec une si faible marge de tolérance que, dans la pratique, la satellisation doit se faire par correction automatique de la vitesse en fonction de l'altitude. L'engin spatial, lancé de manière à couper l'orbite de la Lune à angle droit, à quelques milliers de kilomètres en avant ou en arrière de la course de l'astre, se stabilise lorsqu'il arrive à ce point et mesure par radar sa distance exacte au sol lunaire, 7 000 kilomètres par exemple. Un  calculateur, à terre ou à bord, établit aussitôt, d'après ce chiffre, le ralentissement que devra fournir une rétro-fusée pour que la vitesse ne soit plus que de 0,75 kilomètre-seconde. Cela peut représenter environ 1 kilomètre-seconde pour une vitesse de lancement très voisine de la vitesse de libération. La vitesse caractéristique de la satellisation n'est donc guère plus élevée que celle du coup au but de Lunik 2. Mais l'appareillage de stabilisation, de calcul électronique et de freinage représentait un poids mort qui, à rapport de masse presque égal, aurait exigé l'emploi d'une fusée porteuse bien plus puissante, dont on ne disposait pas encore a l'époque. De plus, il semble d'ailleurs qu'une satellisation autour de la Lune ne puisse être durable à moins de rectifier fréquemment la course de l'engin. L'attraction de la Terre et celle du Soleil s'exercent de manière très sensible même à l'intérieur du périmètre où l'attraction lunaire est, prépondérante, et l'orbite du satellite en est rapidement perturbée. Ainsi, à chacun de ses passages entre Terre et Lune, il serait attiré vers la Terre et dévié légèrement. Au bout de quelques tours, la déviation serait devenue suffisante pour qu'il se retrouve dans la zone où l'attraction terrestre est prépondérante.

 

L' ALUNISSAGE.

Pour qu'un engin se pose sur la Lune sans se briser, il faut qu'il arrive au sol lunaire avec la vitesse Zéro. La Lune n'a pas d'atmosphère (ou tout au plus une atmosphère dont la densité ne dépasse pas le millionième de celle de la Terre). Il n'y a donc pas, comme au retour d'un vaisseau cosmique vers la Terre, possibilité de freinage par les particules de l'air. Toute la vitesse à perdre doit être perdue par l'utilisation d'une rétrofusée, après stabilisation pour que le jet gazeux soit dirigé rigoureusement vers le point d'alunissage. Cette rétro-fusée doit être, proportionnellement à la charge utile, beaucoup plus puissante que celle utilisée pour faire dérailler de son orbite un vaisseau cosmique. Dans le cas de Lunik 2 par exemple, elle aurait dû faire perdre 3,3 kilomètres-seconde. L'application de l'équation de Tsiolkovski, avec des gaz ayant une vitesse d'éjection de 2500 mètres-seconde, indique un rapport de masse de 4, au lieu de 1,1 pour la rétro-fusée de Vostok par exemple. L'alunissage d'un équipage humain ne saurait se concevoir sans le retour de cet équipage vers la Terre avant que ne soient épuisées les réserves d'air et de vivres. La " vitesse caractéristique" de l'opération, c'est-à-dire le coût total en énergie de cette opération, va se calculer sur la base de ces quatre phases:

1) de la Terre au point d'équilibre des attractions, vitesse cosmique 11 km/s
    plus compensation du freinage atmosphérique et de l'ascension verticale 3 km/s

2) du point d'équilibre des attractions au sol lunaire, ralentissement (sachant que les vitesses à perdre représentent la même dépense de carburant que si elles étaient à gagner) 3 km/s

3) de la Lune au point d'équilibre des attractions (opération inverse du ralentissement) 3 km/s

4) du point d'équilibre des attractions à une altitude de 180 kilomètres environ au-dessus du sol de la Terre, à la tangente des hautes couches de l'atmosphère et à une vitesse légèrement inférieure à la vitesse circulaire correspondant à cette altitude, afin que la descente dans les couches denses de l'atmosphère s'effectue dans les mêmes conditions que celles indiquées pour le vaisseau cosmique 4 km/s

TOTAL  24 km/s

Avec des gaz avant une vitesse d'éjection de 3 000 mètres-seconde, cela représente un rapport de masse de 3 000.

 

MECANIQUE SPATIALE, partie 6