SPACELAB, HISTOIRE D' UN
LABORATOIRE EUROPEEN
Alors qu'Apollo battait son plein, avec la
réussite des premiers vols pavant le chemin vers la Lune, on pensait déjà à
l'après-Apollo que la NASA baptisait platement l'ère post Apollo. Le système
Apollo était, pris dans son ensemble, un Meccano fabuleux. Il tournait autour
de quelques éléments complémentaires.
D'abord, le module de commande Apollo;
une capsule conique capable de faire vivre dans l'espace trois hommes durant
deux semaines et plus, une fois emmanchée à une sorte de boîte de conserve
s'achevant par la cloche d'un moteur-fusée, le module de service. Module de
commande plus module de service donnaient le vaisseau Apollo, en termes
techniques le CSM. Le CSM pouvait aussi bien être employé pour tourner autour
de la Terre en solo, que pour tourner autour de la Lune; ce fut d'ailleurs le
but des vols Apollo 7 et Apollo 8. Pour s'en aller tourner autour de la Terre,
pas besoin d'une énorme fusée l'équipe von Braun avait pensé la famille des
lanceurs Saturn en commençant par un engin, géant selon les standards des
années 1955, mais qui apparaîtra bien modeste comparé aux Saturn V des vols
lunaires la Saturn 1, et sa dérivée I B. La Saturn I décollait sous une
poussée de près de 650 tonnes, et elle démontra une fiabilité de cent pour
cent au long d'une carrière opérationnelle comptant dix-neuf vols.
Pour
l'époque, c'était un fameux résultat..
La Saturn I B fut l'engin de lancement
des Apollo circumterrestres.
Pour les vols au long cours, c'est-à-dire les
missions lunaires, la fusée inventée fut le monument suprême de la technique
des lanceurs, la Saturn V. Son développement commença en 1962, au mois de
janvier. Dès son troisième vol, elle emmenait un équipage jusqu'à la Lune:
celui d'Apollo 8, Borman, Lovell et Anders; ils lurent un extrait de la Genèse
alors qu'ils tournaient autour de la Lune, durant la nuit de Noèl 1968, ces
premiers hommes partis de la Terre pour s'en aller survoler, explorer du regard
un autre corps céleste. Sur Apollo 12, la Saturn V encaissa la foudre en plein
décollage, et n'en fut guère dérangée. Sur Apollo 13, le moteur central du
second étage s'arrêta deux minutes trop tôt; les quatre moteurs restants
brûlèrent donc plus longtemps afin de compenser la perte d'énergie, le
complément venant du troisième étage - et tout cela automatiquement.
Pour
résumer la Saturn V, il faut se souvenir de deux chiffres, que l'on se
répétera comme valeurs de référence: les dernières versions du lanceur de
von Braun pouvaient propulser un vaisseau de 53 tonnes jusqu'à la Lune, et
placer jusqu'à 152 tonnes en orbite autour de la Terre! La navette
d'aujourd'hui ne peut hisser qu'environ 30 tonnes, dans le meilleur des cas,
autour de la Terre...
Treize Saturn V furent lancées, sur un total de seize
construites, et toutes firent leur travail; il y eut des imperfections et des
problèmes, mais aucune mission ne fut grandement dégradée par la faute de
cette énorme machine.
Autre composant du système Apollo : le module lunaire,
un chef-d'oeuvre développé par la firme Grumman; ce fut le premier vaisseau
habité destiné à fonctionner ailleurs qu'autour de la Terre. Son milieu
étant la Lune, il n'était pas profilé. C'était un engin d'une simplicité
raffinée, afin d'obtenir la fiabilité la plus élevée possible, et une
démonstration que la recherche d'une simplicité absolue coûte parfois plus
cher que la démarche visant à obtenir l'engin le plus compliqué. Mais non
seulement les LM fonctionnèrent à cent pour cent lors des vols lunaires, mais
le LM d'Apollo 13 fit plus que son travail : il ramena vivant l'équipage de
Lovell depuis les approches lunaires jusqu'à la banlieue terrestre, les trois
hommes ne réintégrant leur module de commande éclopé qu'au dernier moment,
avant la rentrée dans l'atmosphère.
Le LM constituait, indépendamment de sa
fonction de barge de débarquement lunaire une excellente base pour développer
un petit véhicule capable d'effectuer des liaisons entre diverses destinations
placées en orbite basse autour de la Terre, remorqueur ou camionnette. Tout cet
ensemble pouvait, dans l'esprit de ses concepteurs, trouver de multiples usages
après Apollo, dans le cadre du programme post-Apollo. On pensait qu'une fois la
Lune atteinte et symboliquement rattachée à la Terre, on allait pouvoir se
consacrer à une première grande tâche : l'édification d'une vaste station
orbitale située en orbite terrestre. On utiliserait pour cela une flotte de
Saturn V dont le coût unitaire diminuerait fortement avec le lancement d'une
petite série. A 150 tonnes et plus par lancement, les éléments préfabriqués
de la station ne mettraient pas longtemps à être acheminés vers l'orbite.
Pour assembler ces éléments, une équipe d'astronautes dotés du matériel ad
hoc devrait évidemment s implanter en orbite, utilisant des CSM Apollo comme
véhicules-navettes Terre-orbite, des remorqueurs dérivés du LM comme
camionnettes orbitales. Pour habiter là-haut dans l'équivalent d'une baraque
de chantier spatiale en attendant que la station elle-même soit vivable, on
pensait leur donner un second étage de Saturn V transformé en enceinte
pressurisée. Pour les lancements accessoires, comme ceux d'éléments légers
du système ou de satellites de service, on pensait employer des petites Saturn
1, et des I B pour les CSM Apollo habités. Tout cela existait; le coût de
développement de la panoplie complète avait été absorbé par Apollo, et
certains économistes pensaient qu'avec tout ce matériel la NASA possédait de
quoi travailler dans l'espace pour un bon demi-siècle, avant qu'il soit
nécessaire de consentir de nouveaux investissements lourds, destinés à
développer un nouveau système de transport spatial complet.
Mais l'Amérique
est une contrée qui fonctionne selon le critère du progrès par habitude: dès
que quelque chose existe, il est déjà dépassé. Il faut donc immédiatement
penser à son remplacement, au plus vite. Apollo était perçue comme une
aventure gratuite, et ruineuse. Les technocrates de l'espace américains
pensèrent alors qu'il fallait oublier Apollo et tout son matériel, afin de
proposer à la nation un outil spatial entièrement différent caractérisé
par des paramètres économiques parfaitement délicieux; cet ensemble serait
meilleur marché que n'importe quelle combinaison de fusées, puisqu'il serait
fondé sur la réutilisation de ses composants. Après tout, disaient-ils, le
transport aérien serait impossible si l'on devait jeter chaque avion à la
casse après un seul vol transatlantique. Il devait en être de même dans le
domaine du transport spatial.
Ce faisant, les ingénieurs américains renouaient
avec la logique le vol spatial habité aurait vu le jour même si la course
entre Soviétiques et Américains n'avait pas existé. Mais il aurait été le
fait des militaires, sans nul doute, et leurs engins auraient eu une morphologie
bien différente de celle des capsules; Boeing, par exemple, avait dépensé des
millions de dollars entre 1960 et 1965 dans l'étude d'un engin baptisé X 20,
ou Dyna-Soar. C'était un planeur hypersonique, capable d'être placé en orbite
basse, d'y effectuer une mission de reconnaissance stratégique, et de
décrocher ensuite de l'orbite pour revenir sur Terre en planant, après une
rentrée pilotée. Le Dyna-Soar devait se poser comme un avion expérimental du
genre du X 15, sur les immenses pistes naturelles de la base d'Edwards en
Californie. Lorsque le Dyna-Soar fut abandonné, en 1965, les rayons des
bibliothèques de firmes comme Boeing ou de la NASA étaient bien garnis de
données concernant les mystères du vol hypersonique. Plus de sept mille heures
d'essais en soufflerie avaient été effectuées par Boeing, et cela avant même
que le programme ne commence, à des vitesses au delà de Mach 8; dont trois
mille heures au-delà de Mach 15...
On oublia les engins spatiaux capables de
planer grâce à des ailes, pour un temps. Mais de toute évidence, là était
la logique lorsqu'il s'agirait de donner un successeur à Apollo. Les données
du Dyna-Soar, augmentées d'une foule de paramètres glanés lors de programmes
passés inaperçus dans l'ombre des vols lunaires, comme les X 23 et X 24,
ressortirent lorsque la NASA dut faire financer son futur une fois Apollo mené
à bien. Dès 1969, on avait commence à explorer, à la NASA, le concept d'une
navette spatiale, destinée à former la structure de base de l'ère
post-Apollo. Il y avait donc deux suites possibles au programme lunaire: ou bien
on conservait le matériel, et on bâtissait un scénario autour de cette
panoplie disponible; ou bien on jetait tout cela au musée, et on investissait
beaucoup d'argent frais pour inventer quelque chose de révolutionnaire qui,
ensuite, promettait d'être relativement économique. On se décida pour la
seconde formule, pour de nombreuses raisons. Parmi lesquelles certaines étaient
fondées, exprimées, étayées; et d'autres purement immatérielles.
Ce choix
fit plaisir au lobby combinant l'espace et l'industrie: ce programme navette,
qui consistait à presque tout reprendre à zéro, allait représenter une
aventure technico-industrielle aussi vaste qu'Apollo en son temps, et la
promesse d'un prix raisonnable pour le kilo en orbite allait permettre de
plaider auprès des pouvoirs politiques.
ON SAUVE L' ARGENTERIE
Le programme Apollo avait tout de même
engendré deux rejetons, que l'inertie des vastes systèmes administratifs
laissa vivre malgré des budgets abominablement serrés, Skylab et
Apollo-Soyouz.
Skylab fut la première et dernière démonstration de la
formidable adaptabilité du matériel Apollo, et de la sagesse qu'il y avait à
plaider pour une astronautique américaine fondée, pour un demi-siècle au
moins, sur la panoplie du matériel lunaire.
Skylab était un laboratoire
orbital habité comme on n'en fera plus : il consistait en un énorme troisième
étage de fusée Saturn V, un S-IV B, totalement réaménagé pour faire vivre
plusieurs équipages de trois hommes venant y séjourner en succession rapide.
La dimension même du S-IV B permettait un volume habitable gigantesque,
comparé aux stations Saliout soviétiques - ou aux éléments de la future
Space Station de la NASA, dimensionnés par le volume disponible dans la soute
des navettes spatiales... Skylab était quatre fois plus vaste que les Saliout,
et ne coûta quasiment rien à réaliser compte tenu de l'existence de matériel
déjà construit et stocké, qu'il suffisait d'adapter. Son énorme observatoire
solaire, par exemple, était fixé sur un bâti dérivé de la structure du
module lunaire.
Le laboratoire fut lancé le 14 mai 1973 de cap Canaveral, par
la dernière Saturn V à voler. Après 63 secondes de vol, les forces
aérodynamiques s'exerçant sur le vaisseau disloquèrent un bouclier de
protection externe, qui bloqua en position fermée l'une des deux vastes ailes
solaires repliées et arracha purement et simplement l'autre aile. La station
arriva néanmoins en orbite à 435 kilomètres d'altitude. L'absence du bouclier
de protection entraîna un échauffement exagéré de l'intérieur de Skylab, et
la perte de ses deux ailes solaires représentait un déficit énergétique tel
qu'il semblait condamner la mission tout entière. Le premier équipage à
séjourner à bord aurait dû être lancé quelques heures après la station
elle-même. Mais avec l'accident survenu durant la montée, il était exclu de
s'en tenir au scénario originel. On commença par établir un diagnostic des
dommages subis - car personne ne savait vraiment ce qui s'était passé pendant
la montée. Puis on inventa des méthodes permettant de sauver la mission,
allant de la confection d'une sorte de parasol fonctionnant selon les principes
du déploiement d'un spinnaker sur un voilier de course jusqu'à la refonte de
certains protocoles d'expériences pour tenir compte de la diminution de la
production électrique à bord.
Onze jours après le lancement de Skylab, le
premier équipage fut lancé, après s'être entraîné au déploiement du
parasol dans la piscine du centre de Huntsville. Leur premier travail, arrivés
en orbite, fut d'inspecter Skylab de l'extérieur. Ils confirmèrent les
craintes des ingénieurs en constatant que le panneau solaire survivant était
bien coincé fermé, et tentèrent, après avoir enfilé leurs scaphandres, de
le débloquer à la pince coupante, leur module de commande volant en formation
serrée à moins d'un mètre au-dessous de la masse énorme du laboratoire
mutilé... Jamais, jusqu'ici, une mission spatiale habitée n'a autant flirté
avec la catastrophe Conrad, Weitz et Kerwin sont les seuls astronautes dont on
puisse dire qu'ils ont vécu une mission à la Buck Rogers, prenant d'eux-mêmes
des initiatives plus qu'osées, se comportant comme des marins préoccupés
d'abord de sauver leur navire en perdition. Le déblocage échoua, et ils
s'arrimèrent au Skylab après de nouveaux soucis, causés par la mauvaise
volonté du système d'amarrage qu'ils durent d'abord démonter, après s'être
de nouveau équipés de leurs scaphandres, et réparer...
Ils dormirent dans
leur module de commande, et entrèrent le lendemain dans le Skylab, portant des
masques respiratoires de crainte que la température intérieure de plus de 60
degrés centigrades n' ait cause la formation de gaz toxiques. Ils déployèrent
le parasol à travers un sas de manipulation d'expériences, et le laboratoire
proprement dit fut sauvé. Plus tard, ils débloquèrent l'aile solaire
survivante, et la mission scientifique fut à son tour sauvée.
Il y eut trois missions habitées à bord de
Skylab, de 28, 59 et 84 jours. Elles donnèrent une moisson fabuleuse de
résultats scientifiques, en particulier dans le domaine de la connaissance du
soleil 182 842 images de notre étoile furent ramenées sur Terre, dont l'étude
justifia à elle seule le coût de l'ensemble du programme - si tant est que la
connaissance possède quelque valeur marchande.
Skylab se déroula dans l'ombre
d'Apollo, et fut peut-être le plus riche des programmes spatiaux habités d'un
strict point de vue scientifique. Mais le grand public ne retint pas grand-chose
de l'aventure de cet énorme bidon habitable accroché en orbite, sinon le
frisson provoqué par son retour dans l'atmosphère, au-dessus de l'océan
Indien et de l'Australie, où aboutirent des morceaux de ferraille à demi
fondus qui justifièrent la vogue de Skylab-safaris parmi les amateurs de
courses en brousse...
Skylab aurait-il eu un petit moteur capable de lui donner,
de temps en temps, l'impulsion lui permettant de rester accroché sur son orbite
d'origine, il serait devenu un avant-poste depuis lequel la construction d'une
station plus importante aurait pu être entreprise. Mais la NASA manquait
tellement d'argent que Skylab n'eut jamais ce moteur, et nombreux sont ceux qui
pensent, en 1985, que cette carence fut dramatique pour la suite des opérations
spatiales américaines.
Quant à Apollo-Soyouz, elle démontra que
l'on pouvait, avec du bon sens et un peu d' ouverture d'esprit faire fonctionner
ensemble des systèmes spatiaux aussi dissemblables que l'Apollo américain et
le Soyouz soviétique. La mission philosophique naquit dans l'enthousiasme de la
détente Est-Ouest; il fallut trois ans aux techniciens soviétiques et
américains, en voyage constant les uns chez les autres, pour résoudre les
problèmes d'adaptation technique des systèmes et des méthodes. Des amitiés
indéfectibles se nouèrent, comme celle entre Alan Bean, qui commandait du
côté américain l'équipage de réserve, et qui avait été le quatrième
homme à marcher sur la Lune avant de voler cinquante-neuf jours à bord de la
seconde mission Skylab, et Alexei Leonov, l'un des premiers cosmonautes, le
premier homme à effectuer une sortie dans l'espace, désigné comme commandant
de la partie soviétique d'Apollo-Soyouz. Bean et Leonov avaient, au-delà de
l'astronautique, une passion dévorante à partager la peinture. Chacun d'eux
était un excellent peintre amateur, et Bean deviendra, une fois retiré de la
NASA, un hyperréaliste bien coté aux Etats-Unis...
Apollo-Soyouz vola
merveilleusement; la poignée de main symbolique entre Stafford et Leonov eut
lieu juste au-dessus des côtes européennes, entre Belgique et Hollande. Cela
aussi était peut-être un symbole.
NOUVEAU DEPART
La NASA met de l'ordre dans son projet de
navette durant la première moitié de 1969. Puis, trois mois après le premier
alunissage, elle convie le ban et l'arrière-ban de l'establishment
astronautique américain et, immense nouveauté, européen, à assister à un
symposium sur le concept de navette spatiale.
Représentant l'Europe à cette
réunion tenue à Washington, au Musée d'histoire naturelle du Smithsonian
Institute, il y a des délégations allemande, britannique et française. A
l'automne, le patron de la NASA alors en activité (que l'on appelle
l'administrateur), le Dr Thomas O. Paine, invite l'Europe à participer
activement et matériellement au programme post-Apollo en transmettant cet appel
à l'ESRO. Personne ne sait vraiment quelle forme pourrait revêtir la
participation européenne. On parle de développer un engin orbital connu sous
le nom de remorqueur, capable de se charger des transports de personnel et de
matériel entre diverses destinations orbitales, mission que l'on pense confier
à un lointain dérivé du module lunaire dans le scénario post-Apollo
utilisant du matériel développé pour Apollo.
On parle aussi d'un compartiment
habitable pouvant être branché dans la navette comme un embryon est branché
dans les systèmes et sous-sytèmes maternels durant la gestation...
Ce
compartiment, occupant pratiquement toute la soute de l'orbiteur, devrait être
employé comme un laboratoire de recherches mis en oeuvre pour la durée de la
mission par un équipage de savants, aux fonctions bien distinctes de celles des
astronautes chargés de la conduite du vol. Ce compartiment devrait, bien
entendu, être développé en même temps que toute une panoplie d'équipements
associés supports pour instruments d'études, d'observation, d'analyse de
l'environnement spatial, abris pour équipements nécessitant une enceinte close
pour leur travail, systèmes de pointage ultra-précis, etc. On baptise tout
cela Spacelab.
Spacelab accroche l'imagination de l'ESRO -
dont la vocation initiale était, ne l'oublions pas, la science spatiale. Le
remorqueur était un simple véhicule, un engin utilitaire condamné, de
surcroît, à travailler dans l'ombre la plus totale. Lorsqu'on visite un grand
port, on s 'intéresse aux énormes cargos et aux containers ships géants, pas
aux remorqueurs...
Qui plus est, ce remorqueur-là ne reviendra jamais sur
Terre; et Dieu seul sait quand on aura vraiment besoin d'un tel engin dans la
chronologie des missions.
Alors que Spacelab représente pour ceux de l'ESRO
qui n'ont jamais oublié que ce sigle signifiait Organisation Européenne de
Recherches Spatiales, une formidable revanche sur la circonstance
politico-historique qui a détourné l'Organisation de son but naturel pour
l'amener à s' intéresser aux satellites d'application, et en particulier aux
Satcoms.
Avec Spacelab, on tire le super-joker: d'abord, on s'intègre à la
NASA, partageant avec elle une expérience monumentale à la fois technologique
et opérationnelle. D'un coup, on va se mettre au niveau, et jouer au football
dans la cour des grands. Ensuite, on plonge dans l'astronautique noble, ou pour
conserver l'analogie avec le football, on monte en première division : celle
des vols habités. Car s'il est déjà difficile de faire voler des satellites
automatiques, lancés par des fusées aux caprices imprévisibles mais qui, de
toute façon, ne peuvent guère faire de dégâts autres que psychologiques et
financiers, cela n'a rien de commun avec le défi posé par l'astronautique
habitée. Là est la différence entre l'aventure vécue par les grands, et les
jeux des enfants...
Enfin, Spacelab va être, par vocation, capable de recevoir
à son bord des expériences scientifiques de toutes natures : l'engin a une
vocation universelle, pluridisciplinaire; il doit, à l'issue de chaque mission,
être reconfiguré afin par exemple de passer d'un vol sur le thème des
sciences de la vie (physiologie, biologie, médecine, pharmacologie) à un vol
entièrement tourné vers l'astronomie ou à un vol totalement consacré aux
applications de la microgravité en métallurgie, chimie, cristallographie...
Philosophiquement, Spacelab est juste dans l'objectif de l'ESRO en ce début de décennie
1970.
La CSE, cette Conférence Spatiale Européenne
qui a pris en main la fonction de coordination des activités spatiales
européennes, arrive à faire régner un semblant d'entente entre les divers
Etats européens qui se sont longuement opposés sur plusieurs sujets de 1968 à
la fin 1971; ces sujets tournent autour de deux thèmes prlncipaux : les
lanceurs et la saga de l'ELDO, et les satellites d'application; plus, lorsque la
NASA invite l'Europe à jouer avec elle au jeu post-Apollo, l'attitude à
adopter face au géant américain et aux risques de perte d'indépendance que
l'acceptation de cette invitation peut entraîner...
Il faut débloquer la situation en apportant
une solution à l'un des problèmes.
Fin 1971, après deux années de travail,
on se met enfin d'accord sur le sujet des satellites d'application. Les
délégations prennent un tel plaisir à redécouvrir les vertus de l'entente
qu'il fut alors plus facile de faire avancer tous les dossiers à grande
vitesse, dans le courant de l'année 1972.
Lorsque l'ESRO lance un programme
préliminaire dit de phase A, au début de 1972, l'organisme passe un contrat
d'étude de 200 000 dollars (financés par tous les pays membres de
l'organisation) avec chacun des trois consortiums aérospatiaux européens:
-
Mesh dirigé par ERNO (R.F.A.);
- Star dirigé par BAC (G.B.);
- Cosmos dirigé
par Messerschmitt (R.F.A.).
Trois concepts de laboratoires sont mis en avant
lors de l' étude phase A. Le Général Purpose Laboratory, concept double
module, le Modular Concept, avec module et palettes et le Common Support System/
Integrated payload System, dans lequel la section charge utile peut être
séparé du CSS.
Puis une phase B est divisée en trois temps:
- B-1 du 1er décembre 1972 au 31 janvier 1973,
- B-2 du 1 er février au 31juillet 1973,
- B-3 du 1er août au 31 décembre 1973.
La Grande Bretagne avait beaucoup
développé les études du remorqueur: elle se montre tout d'abord moins
attirée par le Spacelab. Et la France reste dans l'expectative.
Ainsi, lorsque,
le 18 janvier 1973, le Spacelab devient un "projet spécial" de la CSF
(c'est-à-dire un projet intéressant seulement quelques partenaires, mais pour
lequel les deux-tiers des états membres acceptent d'accorder l'aide de
l'organisation et de permettre l'usage de ses installations), ce sont quatre
pays seulement qui fournissent les 6,5 millions de dollars nécessaires aux
phases B-1 et B-2; l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, et l'Espagne.
Février 1972, au cours d' une réunion à
Paris, des représentants de la CSE, conférence spatiale européenne et de la
NASA proposent aux européen de réaliser le Spacelab. L' Europe étudiait
déjà le remorqueur spatial et certains systèmes de la navette. En juillet à
quelques jours de la grande réunion du 11, la NASA fait savoir que toutes
participations au remorqueur et à la navette est désormais exclue. Les
européens n' ont donc plus le choix, c' est le Spacelab ou rien .
L' ESRO est
déçue car près de 35 millions de F ont été dépensés pour des études sur
le remorqueur et la navette et certains pensent même que développer le
Spacelab n' apportera rien aux ingénieurs. L' Allemagne ne souhaite plus
consacrer ses efforts à la poursuite du programme Europa 3. La France a de son
coté proposé un nouveau lanceur le L3 S.
D' abord reporté de juillet à septembre,
puis de octobre, puis novembre la CSE est réunie finalement à Bruxelles le 20
décembre 1972. Sont adoptés trois programmes, dont deux absolument vitaux:
- On
fera le Spacelab, dans le cadre de post-Apollo (60 % de financement par l'
Allemagne).
- On construira une grosse fusée, pour remplacer la défunte
famille Europa, et se donner une indépendance en matière de véhicules
porteurs (60 % de financement par le CNES français).
- On concevra aussi un
grand programme de satellites utilitaires destinés à traiter globalement les
problèmes de navigation maritime, baptisé Marots.
Plus même : au-dessus de
cette structure technique, on décide de fusionner l'ELDO et l'ESRO, et de
donner à la nouvelle entité ainsi constituée les pleins pouvoirs en matière
de politique spatiale européenne. Cette nouvelle entité est baptisée ESA,
European Space Agency, ou Agence spatiale européenne.
Au début de février 1973, le consortium STAR
est éliminé; il souffre essentiellement d'être conduit par un industriel
appartenant à un Etat dont la participation au programme est incertaine, et de
toute façon réduite. La compétition se resserre donc entre Mesh et Cosmos,
tous deux dirigés par des sociétés allemandes:
_ Cosmos groupe Messerschniitt
- Bolkow -Blohm et Siemens (R.F.A.), SNIAS, SEP, SAT (F), Marconi (1),
Normalair-Garrett (G.B.), Fiat, Lalun et Selenia (J), Casa (E), ETCA (B),
Philips (N.L.).
_ Mesh groupe ERNO - U.F.W. - FOKXER (R.F.A.), Aeritalia (1),
H.S.D. (G.B.), B.T.M. (B), Inta (E), Matra (F), auxquels se sont joints le 1er
février 1973 Dornier, A.E.G. Telefunken et Standard Electric Lorentz (R.F.A.),
T.B.D. (1), Sener (E), SABCA (B), Fokker-V.F.W. (N.L.) et Thomson-C.S.F. (F). En
outre, il a paru bon aux deux consortiums de s'assurer l'assistance technique de
firmes américaines: Mesh est donc associé à Martin Marietta et General
Dynamics, Cosmos à McDonnell Douglas et T.R.W. Systems. On n'a pas oublié que
Martin Marietta et McDonnell Douglas furent constructeurs respectivement de
l'adaptateur (MDA) et du module sas (AM) du Skylab, en l'occurrence de deux
modules dans lesquels un équipage aurait pu trouver refuge à l'intérieur de
la station, l'un et l'autre ayant été occupés à quelque moment par les
astronautes (l'adaptateur contenait en particulier le paquet EREP d'étude des
ressources terrestres, tandis que la commande de la station se faisait depuis le
module sas), ces modèles pouvant être regardés comme préfigurant la cellule
habitable d'un spacelab. Cette concurrence entre deux groupes à la tête de
chacun desquels se trouve une société allemande apparaît au demeurant quelque
peu formelle: même si l'un étant "choisi", l'autre ne sera pas
forcément sous-traitant, le Spacelab sera d'abord une réalisation allemande...
Et deux nouveaux pays se joignent à l'étude:
la Grande-Bretagne et la Hollande. Les dépenses jusqu'à juillet 1973 sont
maintenant estimées à 7,4 millions de dollars (c'est-à-dire une somme égale
à celle dépensée un an plus tôt pour les études d'avant-projet du
remorqueur). Le coût total du programme Spacelab a été initialement évalué
par la NASA à 275 millions de dollars. Il est maintenant estimé par l'ESRO à
370 millions de dollars, soit 308 millions d'unités de compte européen. Cette
somme couvrant les frais d'études, de mise au point, d'essais et de fourniture
d'un modèle de vol, et les aléas techniques.
Elle se ventile ainsi:
- 175
millions pour les recherches;
- 63 millions pour les frais internes de 1'ESRO;
- 45
millions pour les changements pouvant résulter d'éventuelles modifications de
la navette;
- 15 millions pour le développement des composants;
- 10 millions pour
la phase de définition en cours.
La répartition des études confiées aux
industriels à l'intérieur de chaque consortium sera, bien entendu, faite
autant que possible compte tenu de la contribution financière des états. Et ce
n'est pas là le moindre problème, car outre que certaines compétences sont
bien localisées, on doit considérer que les structures d'un consortium ne sont
jamais définitivement figées: des transferts sont toujours possibles et on
attend que certains interviennent en cours de réalisation.
30 avril 1973, le
programme Europa est abandonné et l' ESRO disparaît.
Le 31 juillet la
conférence de la dernière chance est celle du " miracle ". Les
Européens vont tout faire, les Britanniques se chargeront du satellite maritime,
la France du lanceur L3S (62,5%) et l' Allemagne du laboratoire Spacelab
(52,55%). L' Europe a son programme pour au moins 7 ans. Dès lors, tout
démarre en trombe, ou presque.
Spacelab était défendu bec et ongles par les
Allemands. Le concept même leur plaisait, l'idée de coopération totale avec
la NASA ne les choquait pas plus que le fait de dépendre lourdement des forcés
armées américaines pour se défendre contre une éventuelle agression venue de
l'Est; de plus, l'Allemagne pouvait ainsi bénéficier d'un formidable coup
d'accélérateur capable de remettre au top niveau son industrie aérospatiale,
malmenée par la fin de la guerre. Il ne faut pas oublier que l'Allemagne fut,
jusqu'en 1945, la nation technologiquement la plus avancée du monde.
Messerschmitt avait construit en grande série dès 1944 le Me 262, chasseur
bimoteur à réaction qui ne sera égalé par les constructions américaines que
sept ou huit ans après la fin de la guerre (et cela grâce à une énorme
injection de savoir-faire allemand...). Von Braun et ses équipes faisaient
voler des missiles filant à Mach 4 (alors que le premier vol supersonique
habité de l'histoire sera celui de Chuck Yeager sur le X 1, en 1947). Pour
réussir le Me 262 et le V 2, l'Allemagne avait mené à bien d'énormes
programmes scientifiques, et fait avancer dans de nombreuses disciplines les
connaissances théoriques de plusieurs années. Tout ce fantastique acquis fut
laminé par la défaite de mai 45; des ingénieurs de génie s'étaient
expatriés Messerschmitt en Espagne, Kurt Tank (directeur de Focke-Wulf,
créateur de l'avion qui inspira les Soviétiques pour le Mig 15) en Amérique
du Sud; von Braun aux Etats-Unis; Helmut Grottrup, qui travaillait à
Peenemûnde, en URSS avec un important groupe d'ingénieurs; et même, partie
pour là France, l'équipe responsable de la mise au point des moteurs à
réaction; elle se rendra célèbre en aidant . à la réalisation du réacteur
français Atar, les initiales Atar signifiant Atelier aéronautique de
Rickenbach, cet atelier rassemblant en réalité l'équipe d'ingénieurs
allemands... L'Allemagne avait non seulement perdu la guerre; elle avait perdu
ses ingénieurs les plus brillants. L'après-guerre lui avait appris à vivre
avec les Etats-Unis, les deux nations se redécouvrant de nombreux points
communs, et une aptitude indéniable à travailler ensemble; d'ailleurs Charles
Lindbergh n'avait-il pas, avant la guerre, attiré sur lui les foudres des
critiques en affirmant qu'Allemagne et Etats Unis étaient faits pour
s'entendre? Il n'avait probablement pas mesuré la vraie dimension du nazisme
lors de son voyage en Allemagne, sans doute parfaitement organise...
Pour les
ingénieurs allemands, et les politiques allemands chargés de gérer les
intérêts de leur pays dans l'aventure spatiale, Spacelab était donc un
programme idéal.
Par contre, pour les Français habités de
l'obsession indépendantiste, Spacelab ne pouvait constituer un programme viable
puisqu'il renforçait la mainmise américaine sur l'Europe spatiale. Pour les
Français, la grosse fusée était l'outil prioritaire d'une Europe
astronautique. S'il le fallait, disaient-ils, la France la ferait seule, cette
machine! L'ennui était que ça allait coûter cher. De Gaulle n'étant plus
là, il était devenu difficile de vendre aux politiques un programme marqué du
tampon aérospatial on était en pleine déroute psychologique au sujet de
Concorde, le doute régnait partout quant à la nécessité de grandes aventures
de cette nature. On ne voyait là que des opérations de prestige, personne ne
croyait sérieusement à la possibilité de vendre un jour des fusées comme
l'on vendait des avions, pour lancer des satellites principalement voués aux
télécoms; sauf, bien sûr, ceux qui travaillaient sur la fusée en question.
N'étant pas idiots, ils collaient à un schéma raisonnable. Ils ne cherchaient
pas l'engin le plus ceci, ou le plus cela, ou même. le meilleur. Ils
cherchaient à faire la fusée raisonnable, celle dont on aurait besoin dans les
années 1980 et un peu au-delà et rien de plus. Leur seul argument, en somme,
restait la notion de dissuasion si nous ne possédons pas d'engin capable
d'assurer notre indépendance, et celle de l'Europe si l'Europe veut jouer avec
nous, plus rien n empêchera les Etats-Unis de se comporter en dictateurs
monopolistiques. L'argument porta, et la France se déclara prête à payer plus
que la moitié du coût du programme, s'attribuant en retour la réalisation de
l'affaire.
Marots, de paternité britannique, perdra
rapidement son nom, deviendra Marecs, et s'intégrera au système planétaire de
navigation maritime Inmarsat. Les deux grands programmes constituant les piliers
de l'Europe spatiale à partir de 1974 sont donc Spacelab, sous direction
allemande; et la grosse fusée, sous domination française. On cherche un nom
pour la fusée; cette agréable, corvée fut à la base de diverses légendes.
On pense à L 3, pour lanceur trois étages. Cela manque de poésie. On suggère
Véga, mais quelqu'un fit remarquer que ce mot désigne une marque de bière
fort connue en France, et que l'analogie était peut-être gênante. On cherche
dans la mythologie en énumérant Phénix, Orion, Vénus, Prométhée, les
Suisses lancent Edelweiss et Guillaume Tell; on pense à Marianne, qui
évidemment est trop française. Et finalement, on aboutit à Ariane. Le nom est
féminin, chose bizarre pour une fusée; d'autant, remarquèrent certains, que
les premiers dessins de l'engin le présentent avec une forme générale quelque
peu phallique, en contradiction avec un patronyme féminin. Mais au total
l'idée plait à tout le monde; et Ariane devient le nom d'une fusée.
UN SPACELAB POURQUOI FAIRE ?
Recherches scientifique, technologique ou
appliquée seront donc les trois grands thèmes du Spacelab, et le dénombrement
des expériences peut être effectué selon diverses classifications. Ainsi le
colloque organisé par l'ESRO à Frascati, en janvier 1973, prévoit huit
sessions: astronomie solaire, astronomie infrarouge et ultraviolette,
astrophysique des hautes énergies, physique spatiale et physique des plasmas,
sciences de la vie, traitements et fabrication dans l'espace, ressources
terrestres, télécommunications.
La NASA, de son côté, a dénombré 156
catégories d'expériences. La question s'est posée: devait-on concevoir le Spacelab comme un engin spatial capable d'une autonomie totale en orbite - c'eut
été le cas s'il avait dû se détacher de la navette pour constituer un
satellite que l'on aurait alors doté de systèmes d'orientation et de
navigation, voire de moteurs de manoeuvre - ou au contraire fallait-il a priori
poser en principe que le Spacelab resterait toujours solidaire de la navette,
avec ainsi la possibilité de bénéficier de ses services. C'est ce dernier
point de vue qui l'a emporté: il permettra de concevoir un Spacelab plus
simple. Une autre approche consiste à prendre en considération les
caractéristiques de l'ambiance spatiale. Trois facteurs sont à retenir:
l'absence de gravité, la disponibilité d'un vide dans un volume illimité avec
un flux permanent de particules à haute énergie et enfin l'utilisation
possible d'un poste d'observation en dehors de l'atmosphère terrestre. Dans le
prolongement des expériences effectuées à bord du Skylab, l'absence de
gravité fait entrevoir une fabrication de matériaux aux qualités nouvelles;
par exemple, d'une culture à base de solutions, on attend des cristaux de
pureté élevée au service du laser ou de nombreuses applications. On espère
améliorer la qualité des verres par traitement spécial ou obtenir de hauts
indices de réfraction. L'apesanteur autorise d'autre part des recherches
médicales ou biologiques: étude du comportement humain, embryologie,
physiologie, biologie cellulaire, recherches sur les vaccins et les inoculant par électrophorèse. Liée à la disponibilité d'un réservoir à vide infini,
l'apesanteur ouvre la voie à l'élaboration d'alliages impossibles à obtenir
dans des conditions ordinaires, la fabrication de matériaux composites, de
mousses métalliques. L'absence d'atmosphère permet l'observation du Soleil et
des étoiles en élargissant la fenêtre du domaine visible vers l'infrarouge et
l'ultraviolet, ainsi que l'analyse du rayonnement de particules à haute
énergie que l'atmosphère nous empêche, au sol, de recevoir. La position en
orbite permet enfin de se tourner vers la Terre elle-même soit pour l'observer,
étudier ses ressources et son état (géophysique, écologie, météorologie),
soit pour servir de relais ou de point de repère pour la navigation (maritime
ou aérienne) ou les télécommunications.
Une dernière approche enfin est l'analyse des
besoins particuliers que nécessite chaque expérience: pointage fin
(astronomie), puissance électrique (technologie), enregistrement des données
(ressources terrestres, télécommunications). Ainsi des équipements spéciaux
seront nécessaires selon les missions. Toutefois, il apparaît que 90% des
demandes seront satisfaites par un laboratoire polyvalent conçu pour les
expériences compactes demandant peu de puissance électrique (200 W) et ne
nécessitant qu'un pointage rudimentaire (0,5 °); des systèmes additionnels
seront installés pour les besoins exceptionnels.
Compte tenu de cette analyse des demandes, la
définition du Spacelab s'oriente vers les caractéristiques suivantes:
-
Accélération maximale égale à 3 g;
- Contrôle thermique ayant une puissance
de 12kW avec refroidissement à l'air et plaques froides (et éventuellement
usage des radiateurs de l'Orbiter dans des circonstances particulières).
-
Alimentation électrique par piles à combustible et batteries assurant 1000
kWh; fourniture d'un courant continu et alternatif (7kW en moyenne, 50 kW en
pointe).
- Calculateur de bord permettant quelques analyses de résultats
d'expérience.
- Contrôle d'attitude confié aux volants d'inertie de
l'Orbiter, sauf pour, le pointage fin de plates-formes porte-expériences.
-
Possibilité d'enregistrer 1000 bits, et d'émettre avec un débit supérieur à
1000 bauds, les transmissions devant avoir lieu par l'intermédiaire d'un
satellite relais TDRS. C'est en effet, on le sait, un grand projet de la NASA:
supprimer massivement les stations au sol et l'infrastructure qu'elles exigent
en mettant en orbite des satellites de communication spécialement conçus pour
assurer des liaisons avec tout engin de l'espace circumterrestre.
LES ETUDES DE
CONFIGURATION
Les Américains envisagent qu'entre 1980 et
1981 quelque 46% des vols de navette soient consacrés à des transports du Spacelab, ce qui ferait entrevoir 336 missions. Sans qu'il soit pour autant
question de construire 336 Spacelab! Au contraire, l'intérêt de la formule est de permettre au même matériel de retourner un
grand nombre de fois dans l'espace. Sur la base des prévisions actuelles, le
nombre de Spacelab demandé aux Européens (étant entendu que l'Amérique n'en
assurera pas la construction) serait compris entre 5 et 10. Et cela pour des
temps de vols variables. Les plus nombreux - 240 environ - dureront 7 jours. On
attend que la durée maximale - 30 jours - soit seulement demandée à moins de
50 missions, les autres devant avoir une durée intermédiaire.
Ainsi l'ESRO
propose aux industriels de rechercher des concepts permettant l'adaptation la
plus aisée aux différentes demandes. Il est recommandé de constituer le Spacelab par deux parties distinctes: le laboratoire proprement dit, pressurisé
et habitable, et la "palette ", sorte de plate-forme porte-instruments
destinée à exposer ceux-ci au vide et aux rayonnements.
A défaut de diriger une construction, le
Marshall Space Flight Center de Huntsville effectue des études sur le Spacelab.
Il préconise une spécialisation des laboratoires: pour l'observation
terrestre, seule la palette subsiste; pour les expériences liées aux effets de
l'apesanteur seul le laboratoire subsiste; pour la recherche astronomique le
combiné palette-laboratoire est retenu. Les caractéristiques du Spacelab
doivent enfin s'accommoder de celles de la navette: cette dernière place 29,5 t
en orbite basse (180km, 280), mais rapporte seulement 18t. Avec 20% de marge,
cela fixe à 14,5 t la masse maximale du Spacelab, la charge utile étant de
5,47 t. Quant au volume, il est conditionné par les dimensions de l'Orbiter
dont la soute mesure 4,3 m de diamètre pour 18 m de longueur. De 2 à 6
expérimentateurs sont prévus. Leur habitat sera la navette, aux côtés de ses
deux pilotes. Le Spacelab restera lié à l'Orbiter, mais il pourra, par rapport
à la soute, pivoter de 90° de manière à offrir, de toute part, ou presque,
une large "vue sur l'espace ". Il va sans dire que ces données
laissent encore la place à une grande variété de formules, et on peut gager
que l'imagination des industriels ne sera pas en défaut au niveau tant pour
l'architecture de l'ensemble que pour la réalisation des systèmes (structures,
contrôles thermiques, alimentation électrique, communications et
enregistrement des données, contrôle d'ambiance et système de survie,
contrôle d'attitude).
CONCEPT MODULAIRE
Techniquement, il est intéressant de passer
en revue les trois formules initiales de Spacelab pour comprendre les raisons du
choix vers lequel va s'orienter l'ESRO et en particulier les motifs qui,
indépendamment des considérations politiques,
conduisent très vite à écarter le Spacelab Star. Essentiellement, il est fait
grief aux ingénieurs de la BAC de proposer un laboratoire insuffisamment
intégré. Il est constitué par une série de modules dont les jonctions se
font au niveau de 2 m, ce qui permet plusieurs largeurs et une longueur
quelconque.
Le module fondamental est long de 7 m. Il est possible de lui
ajouter:
- une palette de 11 m;
- un laboratoire (dont la structure aurait été
celle du module fondamental);
- un atelier pour une mission particulière.
D'innombrables combinaisons auraient pu être imaginées selon la formule du
jeu de construction, malheureusement avec ce défaut, ont estimé les
responsables de l'ESRO: la trop large autonomie de tous ces modules. Sous la
direction de la société ERNO, le groupement Mesh propose un laboratoire
modulaire assez largement intégré; l'adaptation aux différentes missions se
fait par assemblage d'anneaux interchangeables. Une unité de base longue de
4,20 m assure l'interface avec l'Orbiter et contient les réservoirs de fluides
(oxygène, azote, eau, fréon), les éléments actifs (pompes, compresseurs,
piles) et les appareils à commande (consoles, calculateurs, enregistreurs,
émetteurs) destinés aux différents systèmes. A ce module de base sont
ajoutés - comme les wagons d'un train sont attelés à sa locomotive - des
modules additionnels, longs de 3 m chacun, qui sont de deux types (laboratoire
ou palette). Une structure tronconique de transition (longueur 1,20 m) permet
l'adaptation du dernier des modules du laboratoire cylindrique à un premier
module de palette. Ainsi est-il possible de constituer à volonté un vaste
laboratoire sans palette, comportant le module de base et quatre modules
additionnels (la structure de transition est alors utilisée comme fond
arrière), bien adapté à une étude des sciences de la vie ou bien un
laboratoire réduit à son seul module de base avec une longue palette, pour des
recherches astronomiques (avec la possibilité d'installer dans le vide des
instruments tels que compteurs de particules, télescope X, gamma spectromètre,
chambres à étincelles et caméras), ou bien encore une solution mixte
laboratoire + palette. Chaque module additionnel comporte les circuits et
réseaux correspondant à chaque système (électrique, thermique, ambiance)
qui, après connexion lors de l'assemblage, sont alimentés par le module de
base. L'adaptation à la mission se fait enfin par l'installation, à bord de
l'ensemble ainsi constitué, d'équipements spécifiques. Le diamètre uniforme
du laboratoire une fois assemblé fait oublier sa construction modulaire. La
grande caractéristique du Spacelab Cosmos est de distinguer nettement les deux
éléments avec respectivement un système de soutien ou CSS (Common Support
System) et un système de charges utiles intégrées IPS (Integrated Payload
Systems). Commun à toutes les missions, le premier élément joue le même
rôle que le module de base du concept Mesh, mais en outre, il est prolongé par
un cylindre creux destiné à protéger la charge utile. Il assure les services
généraux du laboratoire (alimentation électrique, contrôle de l'ambiance et
de l'habitat, contrôle thermique, enregistrement des données, contrôle
d'attitude, interface avec l'Orbiter). L'IPS est au contraire spécial pour
chaque mission. Une partie laboratoire (sans enveloppe extérieure) vient
s'emboîter dans le cylindre du CSS; elle contient les appareillages
nécessaires à la mission. Un fond étanche permet de compléter la structure
du laboratoire (dont le fond avant et la partie cylindrique sont fournis par le
CSS). Enfin l'IPS porte la palette, elle-même conçue selon le type
d'activité: une structure robuste supportera les télescopes et gros appareils
de recherche astronomique; des éléments légers articulés autoriseront au
contraire un déploiement d'antennes ou appareils nécessaires à l'étude de la
Terre. Pour les études des sciences de la vie et des matériaux, un IPS très
particulier est prévu: la palette est supprimée et la place disponible est
mise à profit pour augmenter la longueur du laboratoire, cela impliquant
évidemment qu'une partie cylindrique de structure vienne prolonger le CSS. Les
configurations comportent divers avantages et inconvénients. Le concept
modulaire Mesh procure l'adaptation la plus aisée à la mission et le plus
grand volume utile; il réduit en outre la complexité des systèmes et des
équipements de contrôle au sol, mais l'assemblage des modules est complexe.
D'où un temps de rotation assez long, qui pourra requérir un nombre
d'exemplaires un peu plus important. Le concept Cosmos permet une rotation
rapide de l'élément commun et une pré-intégration aisée (avant son
introduction dans le CSS) de la charge utile complète, avec une excellente
accessibilité; toutefois la souplesse finale réduite demande des études de
définition complexes et le développement comporte des risques; l'indice de
structure est défavorable (avec le concept Star, l'absence totale
d'intégration garantissait la simplicité des éléments et de leur assemblage,
mais le volume offert à la charge utile était réduit, la masse de structure
pénalisante).
Août 1973, la décision des quotas de
participation sont décidés. La RFA prend 53,3 %, donnant la maîtrise d'
œuvre à la firme ERNO, MBB, Dornier et AEG. L' Italie suit avec 18%, la France
avec 10%, la Grande Bretagne avec 6,3%, la Belgique avec 4,2%, l' Espagne avec
2,8%, les Pays Bas avec 2,1%, le Danemark avec 1,5 %, la Suisse avec 1% et L'
Autriche avec 0,8%. A la même époque, le programme Spacelab devient Programme
ESRO et partie intégrante du STS.
MEMORANDUM D' ACCORD
C'est le 24 septembre 1973 qu'intervient à
Washington la signature solennelle du mémorandum d'accord concernant le Spacelab par l'administrateur de la NASA James Fletcher et celui de
l' ESRO, le
Dr A Hocker. Ce mémorandum:
- énumère les clauses et conditions de la
coopération désormais instaurée entre la NASA et l'organisme européen ESRO;
- règle la modalité de mise en oeuvre du programme dans le cadre duquel l'ESRO
s'engage à concevoir, réaliser, fabriquer, et livrer aux Etats-Unis la
première unité de vol d'un Spacelab qui devra être intégré à la navette
américaine;
- instaure entre la NASA et l'ESRO une structure de coordination
pour résoudre les problèmes de compatibilité qui se poseront pour définir
les missions, préciser les conditions dans lesquelles l'ESRO pourra avoir
accès à l'utilisation du Spacelab et celles qui permettraient à la NASA une
acquisition de Spacelab supplémentaires.
Il est envisagé, indique-t-on,
d'inclure un Européen dans l'équipage de la première mission de vol du Spacelab. Le mémorandum restera en vigueur "jusqu'au 1er janvier 1985, et
en tout état de cause pendant cinq ans au moins à compter du premier vol d'un
Spacelab ". Il sera reconduit pour trois ans, sauf préavis de résiliation
donné soit par la NASA, soit par l'ESRO avant le 1er janvier 1985 ou avant
l'expiration de la période de cinq ans, selon le cas. Et ensuite, des
reconductions pourront intervenir par périodes successives fixées d'un commun
accord entre les parties. L' ESRO doit fabriquer un modèle de vol, un modèle
d' identification et deux ensembles d' équipement du support de base.
1974, Spacelab devient un grand programme
américano-européen.
Avec le choix définitif du consortium qui
devra livrer le premier exemplaire de vol d'un Spacelab avant la fin de 1978,
une réunion se tient enfin à Noordjwik en février 1974. Les chefs de file des
consortiums - Erno et Messer schmitt - présentent les études de définition du
spacelab... Messerschmitt est longtemps favori: le 9 mai, le Comité d'Evaluation
présidé par M. Hammarstroem, directeur de I'ESTEC, lui donne au demeurant
l'avantage par 662,5 points contre 650,5 à Erno/VFW-Fokher. Mais le 13 mai, au
Comité d'Adjudication que préside le directeur de l'ESRO, M. A. Hocker, la
situation est renversée: la formule Erno est jugée moins chère, on considère
que ses systèmes et sous-systèmes sont supérieurs. Le Spacelab sera donc
construit par Erno...
INTERET POUR L' EUROPE
Associé à la navette, le Spacelab n'apporte
pas seulement la réduction des coûts et la simplification de la recherche
spatiale. Il va inciter l'industrie européenne - à commencer par l'industrie
allemande - à développer son ingéniosité et sa compétence dans de nombreux
domaines:
1. Solution des problèmes de sécurité et fiabilité des vaisseaux
spatiaux habités.
2. Construction de structures pressurisées de grand
diamètre avec taux de fuite très bas (afin de ne pas gêner les expériences
par la pollution de l'espace environnant).
3. Développement d'un contrôle
thermique actif pour satisfaire les demandes de l'équipage et les exigences des
expériences.
4. Développement d'un système d'acquisition des données à
grande capacité, et extrême souplesse d'adaptation aux missions.
5. Production
d'énergie électrique par des systèmes, nouveaux pour les Européens.
Elément
majeur du programme post-Apollo, porte ouverte à l'Europe sur les vols
habités, le Spacelab apparaît bien aujourd'hui comme l'espoir d'un nouvel
internationalisme, celui de l'activité spatiale pour un espace au service de
l'homme.
En juin 1974, le consortium industriel
allemand EHNO est chargé de diriger les opérations de dessin et de
développement de la totalité du système Spacelab pour le compte de l'ESA
(dont l'existence officielle débuta le 30 mai 1975). Les industriels les plus
importants dans la liste des sous-contractants sont Aeritalia, en Italie,
chargée de la structure externe du module pressurisé (la boîte de conserve);
British Aerospace, chargée des palettes porteuses de charges utiles; Matra,
chargée de l'informatique embarquée, y compris les logiciels; mais au total
Spacelab donne du travail à cinquante firmes européennes, réparties dans dix
pays. Les prévisions financières estiment le coût du programme, en 1974, à
515,7 millions de dollars. On considère qu'un dépassement de 20 pour cent de
cette somme peut être toléré; en réalité, l'investissement atteindra, dès
1979, la barre des 850 millions de dollars. Et lors du premier vol du Spacelab,
le 28 novembre 1983, on estimait que le programme valait son milliard de
dollars.
Maquette du module Spacelab sur le site ERNO de
Brème dans les années1974-75
Esthétiquement, Spacelab n'est pas une belle
machine , et on peut avoir de la difficulté à imaginer qu'un tel engin vaille
un milliard de dollars... Pourtant, l'aventure fut homérique on ne se frotte
pas à la technologie américaine sans passer par quelques périodes difficiles.
La NASA, installée dans sa niche débordante de prestige et d'une certaine
suffisance technique, il faut le dire, n'est pas un partenaire facile pour
quiconque s'engage à travailler avec et surtout pour elle. Le programme navette
coûta aux contribuables américains dix fois le prix de Spacelab, ce qui
pouvait motiver, de la part des Américains en charge de la navette (qui leur
donnait de tels soucis qu'on pensa, à un certain moment, que ça ne marcherait
jamais), une certaine impatience vis-à-vis de ces Européens qui n'avaient pas
le niveau adéquat et se comportaient comme s'ils étaient des associés à
égalité. D'autant plus que la navette pourrait vivre sa vie sans Spacelab,
mais que le Spacelab dépendait évidemment de la navette pour exister... Il y
avait donc là un problème de relations hiérarchiques. L'accord entre la NASA
et l'ESA signé en 1973 spécifiait que la NASA ne développerait pas son propre
Spacelab, mais utiliserait des exemplaires construits par les Européens et
achetés par elle-même. Ainsi, pensait-on en Europe, on pourrait récupérer
quelques centaines de millions de dollars venant en déduction des
investissements consentis. On tablait, en Europe, sur trois exemplaires de vol
du Spacelab vendus à la NASA. Bien entendu, le prototype, exemplaire du vol
numéro un, serait gracieusement fourni à la NASA par l'ESA, et le premier vol
serait un vol en association, fifty-fifty.
1975, l' ESRO devient l' ESA, l' agence
spatiale européenne. La charge utile du premier vol est désignée, elle sera
USA-Europe, avec un équipage désigné des deux cotés.
1976, en Europe est désigné le SPICE,
Spacelab Payload Integration & Coordination in Europe, à Parz Wahn, en RFA.
AUX USA, le centre Marshall est nommé responsable du développement du
Spacelab, il réalisera le tunnel de liaison avec l' orbiter.
1977, le premier spécialiste de charges
utiles est désigné en Europe et puis aux USA.
Bien que non prévu dans les accords initiaux,
la NASA et l'ESA décide de faire voler des palettes Spacelab lors des premiers
vols du Shuttle, OFT (rebaptisé STS). Des palettes simples, équipé seulement
d'une pompe au fréon, de plaques de refroidissement, d'une boite de commande de
puissance. La première palette arrive en Floride le 4 décembre 1978 en
provenance de Brême en Allemagne. La seconde arrivera le 22 avril 1979
En 1979-1980, le programme complet est dans
une mauvaise passe : la navette semble affligée de tares insurmontables, dont
celles concernant le système de protection thermique choisi pour protéger la
machine lors de sa rentrée dans l'atmosphère. Les 36000 tuiles de silicate
collées une par une, à la main, sur la peau d'aluminium du premier des
orbiteurs, Columbia, ne demandent qu'à se décoller au moindre coup de vent.
Columbia est depuis mars 1979 au centre Kennedy, les techniciens de Rockwell
tentant de recoller la moitié de ces tuiles à la main avant son premier vol
désormais repoussé à 1980.
La NASA est hypersensible, à cette époque. Et
pas d'humeur à rendre l'existence facile à ses fournisseurs, y compris les
Européens. Il y a de nombreux obstacles techniques lors des essais de
compatibilité entre le matériel Spacelab et les systèmes de l'orbiteur,
donnant l'impression aux uns et aux autres qu'on ne s 'est pas bien compris au
niveau technique. Et il y a des problèmes d'épicerie, lorsque la NASA
n'accepte pas facilement d'acheter une unité de vol, accompagnée d'un système
de pointage d'instruments, contrairement à ce qui semblait acquis d'après les
accords de 1973. La NASA propose d'échanger ce matériel, d'une valeur de 162,4
millions de dollars, contre des vols de navette. Mais s'il est facile de
chiffrer le coût d'un Spacelab plus un système de pointage, il est plus
délicat de donner un prix ferme pour un vol de navette. L'ESA se bat pour une
transaction en bonne forme, et place son second Spacelab. Le premier modèle d'
identification est livré à la NASA le 28 novembre 1980. Il servira à tester
les installations au sol. Une seconde unité est commandée par la NASA.
1981, la palette du modèle d' identification
vole avec Columbia STS 2 en novembre (OSTA-01- Shuttle Imaging Radar SIR-A). Le
30, le premier modèle de vol FU1 est présenté à Brême. Le 4 décembre, la première unité de vol du Spacelab
est acceptée par l' ESA et la NASA et livrée au KSC le 21 (double
module) par avion C5A depuis Hanaovre. Le lancement est
programmé pour 1983.
1982, le 5 février, lors d' une cérémonie
au KSC, l'unité de vol est accepté par la NASA.
La partie européenne de la première mission
Spacelab est livré le 7 mai.
Le 28 juillet, les trois dernières palettes de l'unité de vol FU2 et la structure de l' Igloo sont
livrés au KSC.
Un second modèle de production de l' IPS est
commandée par la NASA.
Au cours du vol STS 3, le second modèle d'
identification de la palette vole avec Columbia.
Au KSC, les équipes préparent
la charge utile du Spacelab 1. L' astronaute européen Ulf Merbold, RFA est
désigné comme Spécialiste Mission Spacelab 1. L' astronaute Brian Lichtenberg
est désigné comme SM américain. L' équipage se compose de John Young,
Brevster Shaw, Owen Garriott et Robert Parker.
Le second modèle de vol FU2 sera livré le 27 juillet 1984.
1983 Spacelab 1 vole.
Cet environnement de marchandage se répercuta
sur la perception que les Européens, et pas seulement les spécialistes de
l'espace mais aussi les politiques et évidemment la presse, eurent de l'affaire
Spacelab. Lors du premier vol, fin novembre 83, il y eut bien des réflexions
pleines d'amertume, y compris dans la presse allemande : l'Europe, pourtant pas
riche, faisait cadeau à la NASA d'un engin ayant coûté aux pauvres
contribuables de l'Ancien Continent un milliard de dollars; en effet, aux termes
du contrat, ce Spacelab, propriété de l'ESA pour toute la durée de la
mission, devenait américain dès Columbia posée sur la piste d'Edwards.
L'Europe abandonnait tout droit sur l'engin, et réintégrait le rang des
clients normaux; la meilleure démonstration de cette situation fut la mission
Spacelab baptisée D-1, pour Deutschland One, entièrement payée par
l'Allemagne. Il s'agissait de l'affrètement pur et simple d'une navette,
équipée du Spacelab, pour un vol consacré à l'exploration du phénomène de
la microgravité; ce fut la mission la plus scientifique jamais réalisée par
une navette depuis le début du programme, et I'ESA participant à l'opération
via l'agence spatiale allemande, le DFVLR, y a appris quelque chose. Mais si ce
vol avait dû être affrété par le Japon, le tarif aurait été le même: pas
de préférence, pas de discount amical, rien que du business, pur et dur. On
comprend que les Allemands, après avoir signé le contrat du vol D-1, se soient
montrés extrêmement exigeants vis-à-vis de la NASA, partant du principe que
le client a toujours raison. En particulier, le DFVLR imposa sa manière de
concevoir l'entraînement des membres d'équipage américains devant participer
aux manipulations scientifiques, en plus de la présence de deux astronautes
allemands, physiciens de haut vol, et d'un astronaute ESA, lui aussi
physicien...
Spacelab fut une rude leçon, la découverte
pour des Européens enthousiastes, et préoccupés de se montrer à la hauteur,
d'une NASA dure en affaires, appliquant à la lettre des contrats signés dix
années auparavant tout en essayant de tirer le maximum d'avantages des
paragraphes en tous petits caractères...
Ce fut aussi l'occasion pour
l'Allemagne de hisser sa technologie vers des étages plus élevés, en se
mettant au défi de faire aussi bien que les Américains. Le premier vol
Spacelab, ainsi que les suivants, confirma que les Européens n'avaient pas de
complexes à avoir; on entendait, dans les couloirs du Johnson Space Center de
Houston, la boutade suivante : Si Spacelab réalise 80 pour cent du programme
prévu pour le premier vol, ce sera un triomphe; s'il n'en fait que 60 pour cent
ce sera un succès. Le vol dura une journée de plus que prévu, et il fallut
bien admettre que le laboratoire avait fonctionné à 110 pour cent au moins,
effectuant plus de travail que ce qui était programmé, en raison de cette
journée supplémentaire; et cela même si quelques expériences européennes
(rarissimes), ne tournèrent pas impeccablement...
On fit donc cadeau aux Américains d'une
fantastique panoplie scientifique, abandonnant toute espèce de propriété ou
copropriété sur Spacelab. En échange, ERNO et ses contractants Aeritalia,
Matra, British Aerospace, et d'autres encore pouvaient avoir la certitude de
savoir désormais aborder et traiter les problèmes du vol habité. Ou presque,
Spacelab n'étant pas un engin autonome.
D' après Bernard Chabbert, "Les fils d'
Ariane" Edition PLON 1985 et A Ducrocq 1974.
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