LA REALISATION DU 1er GMS
Pour l'implantation des silos de tir, des recherches sont menées en Corse, dans les Vosges, dans le Massif central et dans la Drôme en 1963. Le 2 mai, le conseil de Défense choisit deux plateaux : Valensole dans les Alpes et Albion dans le Vaucluse. Le plateau de Valensole est écarté car son réseau hydrographique est incompatible avec la construction des silos. Le sous-sol d'Albion par contre est idéal : calcaire facile à travailler et suffisamment résistant pour encaisser des chocs et hors de la zone sismique de la Durance. En surface, une étendue quasi déserte à perte de vue s'étendant sur 8000 km2. Après la visite du ministre Pierre Messmer en avril 1965, la décision est prise d'y implanter 27 missiles en trois unités. L'année suivante, il sera question de construire 45 silos et 5 PCT. L'Armée acquiert au total 785 hectares et 32 ares sur 17 communes auprès de 288 propriétaires dont seulement 6 devront être expropriés. Le total des achats de terrains sera de 3815000 francs avec une moyenne de prix d'achat de 2400 à 3400 francs/hectare pour le département de Vaucluse. Le plateau d'Albion est une vaste région située au sud-est du Mont Ventoux, au sud de la montagne de Lure, et fait partie du Parc Naturel Régional du Luberon. L'horizon est très dégagé sur 360°. Le village le plus proche est Saint-Christol (Vaucluse) au Sud, avec 250 habitants. La ville la plus proche est Apt, à 30 km avec 7812 habitants. Tout est à faire sur place, aménagement des routes, amélioration de la déserte en eau puiser dans la Durance et amené par pompage depuis Aubignosc, Chateau Neuf val St Donnat, Cruis, Banon grâce à deux stations de pompages pour atteindre un réservoir situé dans la Montage de Lure à une altitude de 1070 mètres d'où elle s'écoule par gravité dans 18 communes et sur la Base Aérienne. Préparer l'arrivée de près de 5000 consommateurs dans la région n'est pas une affaire simple. Electricité De France (EDF) devra installer 120 kilomètres de lignes électriques haute tension pour l'ensemble du dispositif. L'emplacement des zones de lancement et des PCT définie, commence alors les premiers achats de terrain et les premiers contrats de réalisation des infrastructures. Le réseaux électrique et téléphonique est renforcés et des lignes crées. On construit des écoles primaires, un cercle mixte pour l'hébergement des militaires. On peut dire que l'armée a apporter la viabilisation dans cette région où il n'y avait rien du tout ! Le 4 mai 1966, est publié au Journal Officiel un décret qui déclare d'utilité publique "les travaux intéressant la Défense Nationale et concernant les installations d'engins militaires à réaliser sur les communes de Gignac, Lagarde d'Apt, Apt, Saint Christol d'Albion, Villars, Rustrel et Simiane la Rotonde". Au printemps de 1966 après 4 décrets d'utilité publique, 17 arrêtés préfectoraux d'autorisation de pénétrer, 14 arrêtés préfectoraux d'occupation temporaire, 13 arrêtés préfectoraux d'ouverture d'enquête parcellaire, 52 arrêtés préfectoraux d'établissement de servitude de droit public, 10 ordonnances d'expropriation, 200 conventions de servitude pour le passage des câbles de télécommunication, les premiers travaux débutent. Toutes les installations doivent résister à une explosion nucléaire. C'est dire les tonnes de béton, de ferraillage et de blindage qui vont être déversées sur et dans le plateau. Le creusement des silos commence en août 1966 et parfois, on tombe sur d'immenses avens qu'il faut combler. 5500 m3 de roches sont extraites pour chaque silo et son abri auxiliaire. Bien qu'impressionnants, ces travaux ne dénaturent pourtant pas le site puisqu'ils sont non seulement enfouis, mais que les militaires veillent à les camoufler un maximum. En tout, le système dissuasif français s'étend sur 800 km2 car il englobe les installations de transmissions du Mont Ventoux, de la montagne de Lure et du Luberon, son coeur étant sur le plateau d’Albion. La DTSG chargé de la construction du 1er GMS, basa 200, les ZL et les PCT doit faire face à de nombreuses difficultés de toute nature liées au climat particulier de la région et son manque d'eau. Les équipements arrivent de Apt par l'étroite route sinueuse de Rustrel. La sécheresse de 1967 oblige à acheminer l'eau des bétonnières par une noria de camions. En 1968, plus de 1000 ouvriers sont présents sur le chantier. La construction des Postes de tir PCT nécessite le déroctage de 74000 m3 de roches, 40000 m3 de béton et 1200 tonnes d'armatures. Les travaux préparatoire, comme la construction des routes d'accès, le terrassement des plateformes extérieures demandent 3 mois. En 1967, c'est en fait seulement 18 silos qui seront construits, la construction de la 3eme unité est abandonné en décembre 1968. Chacun de ces derniers est nanti de son abri auxiliaire, et distant de 3 km de son voisin afin qu'une seule attaque ne détruise plusieurs sites à la fois mais que des frappes nucléaires simultanées annulent leurs effets (2 explosions nucléaires simultanées annulent une grande partie de leurs effets mécaniques). Un agresseur devrait donc détruire un 1er silo, puis un 2ème, etc. ce qui laisse le temps de la riposte.
En novembre 1966, la ferme Saint Just est utilisée comme premier campement aux pionniers du 1er GMS malgré qu'elle ne comportait pas d'arrivée d'électricité au début. La Base Aérienne et ses différents sites deviennent les endroits les plus secrets de France. En avril 1967, la Base Aérienne du 1er GMS est créée sur une surface de 406 hectares sur la commune de Saint Christol d'Albion et pas moins de 2000 personnes y travailleront. Elle sera rebaptisée BA 200 en 1996. La base est coupée en deux dans le sens Nord Sud par la piste d'atterrissage de 1700 m de long. La partie Ouest regroupe la zone vie avec le bâtiment de commandement, des bureaux, les mess, les bâtiments d'hébergement, les équipements sportifs, la piscine et un cinéma et la zone technique commune destinée au stationnement et à la maintenance des véhicules. Au Nord, la zone technique spécialisée ZTS avec les 3 hangars d'assemblages des missiles AAV et l'imposant atelier pyrotechnique. Au delà, la zone d'expérimentation et d'instruction ZEI crée en 1977 pour passer du missile S2 au S3. Ces installations comprennent aussi deux Zones de Lancement équipées de maquettes fonctionnelles de missiles et de deux capsule de tir, copies des sites opérationnels PCT. C'est l'Aerospatiale qui gérait cette zone avec l'Armée de l'Air. A l'Est de la piste, une zone très protégée, la DAMS 11/095, l'atelier de dépôt des munitions et des têtes nucléaires gérée par le CEA et l'Armée. Au sous sol, le centre d'opération gardé jours et nuits. Les couleurs sont envoyées le 5 juillet 1968. En 1968, La Cité Saint Michel, d'une capacité de 874 logements, est construite sur les 15 hectares de la Colline des Puits à Apt. En mars 1970, le Cercle Mixte de l'Air d'Apt (CMAA) est inauguré et a pour vocation une activité d'hôtellerie, de restauration, de culture et sportives pour les personnels de l'Armée de l'Air. Les infrastructures civiles sont modifiées ; les routes sont élargies, les virages moins relevés, le revêtement refait et entretenu régulièrement, les carrefours agrandis, ceci afin de faciliter l'acheminement des transports volumineux et spécifiques des véhicules militaires. Le BMS 05.200 (Brigade de Missiles Stratégiques) est crée en mai 1968 avec l'installation du 1er GMS à Albion. Il comprend le DAMS, Dépôt Atelier de Munitions Spéciales, l'escadron de ravitaillement technique spécialisé, l'escadron technique léger, les 2 unités de tir, le centre d'instruction SSBS et l'équipe technique vecteur. La mise en opération du systèmes SSBS S2 a lieu en août 1971. Plusieurs fois réorganisée dans la période 1968-85, la BMS devient la 95eme Escadre de Missiles Stratégiques EMS en juin 1985 qui restera en opération jusqu'à la fin du démantèlement en 1998. Les deux unités de tir sont sous la coupe de l'escadron de tir ET 01.200 "Luberon" depuis leur mise en service en 1970 et 1972. Dénommé ET 02.394 en 1981, il prendra le nom de Escadron de Missile Stratégique EMS 01.095 en 1985 jusqu'en 1998. Le DAMS 11.200, Dépôt Atelier Munitions Spéciales est crée en octobre 1968 afin d'assurer les opérations d'assemblage et de désassemblage, de la mise en oeuvre et de la maintenance de la partie haute du missile SSBS. Rebaptisé DAMS 11.394 puis DAMS 11.095, il restera en opération jusqu'en août 1998 après le démantèlement. Associé au DAMS, l'escadron technique léger ETL 08.200 est chargé de l'assemblage des missiles et de leur mise en oeuvre ainsi que des interventions sur les ZL. Il est aidé par le GERMAS 15.200, le groupement d'entretien et de réparations des matériels spécialisés. Les deux fusionnent en 1972 (GTMM 15.200), puis après la réorganisation du début des années 1980 il devient le GTMMS 03.394, puis le GERMAS 15.095 et l'ESTS 15.095 Escadron de Soutien Technique Spécialisé. Le 1er mai 1975 est
créé l'Escadron d'hélicoptères (EH) 4/67 sur la base du 1er GMS. Il fait en
fait suite au Détachement permanent d'hélicoptères (DPH) 4/68 arrivé
sur les lieux dès juillet 1968 avec deux Alouette II en provenance de
la « maison mère », Chambéry. Vue l'essor de la composante «
composante sol » de la dissuasion française cette unité de servitudes
implantée localement est nécessaire au support de ce qui va devenir le
1er Groupement de missiles stratégiques du Plateau d'Albion. Plusieurs unités sont chargées de la sécurité du site. L'escadron de protection EP 21.200 est crée en 1968. Il comprend une section de commandement, un cynogroupe et 4 compagnies tous parachutistes. Restructuré en 1979 en deux escadron, l'unité prend en charge et met en oeuvre une section de défense sol-air avec des canons Bitube de 20 mm. Pour parcourir les centaines de kilomètres entre les ZL et surveiller les chemins de câbles, l'unité s'équipe de chevaux. L'escadron SSN 22.200 est chargé de l'organisation de la sécurité nucléaire du système SSBS. Sa mission s'étendait à la prévention radiologique sur l'ensemble du plateau par des analyses hebdomadaires de l'eau dans les fontaines des villages. La section sécurité incendie et sauvetage 23.200 est chargé de lutter contre les incendie sur la base elle même ainsi que de la protection des convoies sensibles. Cette section fut une aide précieuses pour les villages aux alentours en proposant ses nombreux services aux civils pour les accidents de la route, feux de foret ou d'habitations. Associé au SSN 22.200, le service médical 50.200. La gendarmerie avec l'antenne spéciale de sécurité ASS est chargé du contrôle gouvernemental sur les armes nucléaire. Ainsi chaque opération ne pouvait être réalisée sans sa présence et sans l'aval du Ministre de la Défense. Aucun site nucléaire ne pouvait être "visiter" sans la présence du ASS d'Apt. Un escadron de Gendarmerie Mobile a été mis en place sur le plateau avec des rotations de 6 équipes EGM de 1971 à 1998. La brigade de gendarmerie de l'air 01.200 basée sur la base 200 est chargée elle de surveiller les sites stratégiques et d'assurer les missions d'escorte de convois, d'autorités et d'équipages d'officiers de tir.
LA MISE EN OPERATION Les difficultés de développement du missile et quelques mauvaises surprises géologiques dans le sous-sol du plateau d'Albion retardent la livraison de la force de deux ans. Le premier groupement de missiles stratégiques GMS, crée en septembre 1968 entre en opération le 2 août 1971 et le second le 23 avril suivant. Chaque GMS contrôle 9 missiles SSBS. Dans ces postes, 2 officiers veillaient par roulement de 24 h, recevant directement du gouvernement l'ordre de tir sur des cibles préalablement désignées. A la fin des années 1960, les USA et
l'URSS développent des systèmes antibalistiques destiné à
neutraliser une éventuelle attaque nucléaire compromettant la
crédibilité de la force stratégique. Pour la France, il devient
évident de moderniser les MSBS. Le remplacement du S2 par le S3 est
décidé en 1969. Aerospatiale se voit confier le développement en
1972. Le second étage est remplacé par le Rita 2 du M2 tandis que
l'électronique est modernisée. Pour la tête, le S3 possède un module
à leurres qui rend sa détection par radar plus difficile. Les
installations au sol sont aussi modernisées et durcis. Le nouveau
missile est capable de résister aux effets d'une explosion nucléaire
au voisinage du sol (chaleur, souffle, rayonnement, impulsion
électromagnétique IME) en restant opérationnel.
Le missile S3 mesure 13,8 m de haut et 150 cm de
diamètre pour 26 tonnes. En avril 1978, la première unité de tir est arrêtée et en fin d'année les préparatifs commencent pour la transformation avec les S3. La première unité de tir de 9 missiles S3 est livrée le 23 mai 1980, au lieu de février de la même année, date prévue en 1973 et mise en opérationnelle le 1er juin. Entre temps,
afin de se prémunir des effets dues à l'impulsion électromagnétique
IEM, il est décide de "durcir" les S3. Les travaux de la
première tranche étant très avancées, les modifications commencent
sur l'unité 2. Les travaux durent l'été 1980 pour une mise en
opérationnelle le 2 décembre suivant. Le système se comporte très bien pendant toute sa vie opérationnelle, et les onze tirs d'évaluation effectués par l'armée de l'Air entre 1980 et 1993 seront entièrement réussis, (seuls deux ont montré des anomalies mineures).
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