17 janvier, le CNES repousse au 3 novembre le
premier vol d' Ariane L01 au lieu de juillet. Ce retard est directement lié à
l' explosion de l'étage H8 en novembre 1978 et aux remèdes qu' il faudra apportés.
Mais si la qualification des deux premiers étages est déjà acquise, celle du
H8 n' aura pas lieu avant le vol L01, les essais ne reprendront qu'en milieu
d' année. Le CNES pense réaliser avant ce vol deux ou trois essais en version
"BattleShip" plus deux autres essais en version de vol avec l' étage de
remplacement.
Comme les éléments de l'Ariane
"
maquette ergols ", ceux du premier lanceur destiné à voler, L01, ont
convergé de toute l'Europe vers le bâtiment d'intégration SIL (Site
d'intégration lanceur) de la SNIAS Aérospatiale aux Mureaux en mars. Le deuxième étage est venu de Brême en
Allemagne où il a été assemblé par ERNO.
L'étage L33 du vol L01 est installé dans son
container en Allemagne avant son envoie aux Mureaux
En plus des trois étages, le bâtiment SIL
des Mureaux reçoit les structures intermédiaires : inter-étage entre premier et
deuxième étage, inter-étage entre deuxième et troisième étage, tous deux
produits par Fokker en Hollande. Y sont également livrées la coiffe de
protection des satellites, la case équipements et les fusées de séparation et freinage.
SIL des mureaux, le L140 du vol L01 avec en
fond l'étage d'essai M4 dans son dock
Sur ce premier vol L01, la charge utile est
une capsule technologique destinée à transmettre des informations sur
l'ambiance subie par un satellite lors d'un vol Ariane. Cette capsule est
construite par Aéritalita en Italie. Aux Mureaux, l'Aérospatiale procède à
des essais de systèmes électriques, étage par étage, puis à des essais
d'ensemble où le lanceur est électriquement reconstitué sous forme du premier
étage d'une part et de l'ensemble du deuxième étage, troisième étage et
case à équipements d'autre part, les deux ensembles étant électriquement
connectés. Les tests sont effectués à partir d'un banc de contrôle
automatisé identique à celui de l'aire de lancement en Guyane et fourni par
ETCA en Belgique.
Avril, le composite supérieur (L33 et H8) est
assemblé dans le SIL et les liaisons électrique vérifiées en mai.
3 et 4 avril, le conseil de l' ESA confirme la commande d' un 6eme lanceur
Ariane de promotion pour lancer le satellite Intelsat 5.
Juin, à l' occasion du salon du Bourget à
paris , le CNES présente une maquette grandeur nature d' Ariane.
Juillet, , l' ESA décide de commander 5
lanceurs supplémentaires (L11 à 15) aux 4 + 6 déjà commandés par le CNES.
Août, avec quelques semaines de retard du à
la qualification et aux contrôles d' éléments du lanceur (H8 et roulement de
turbopompe sur les moteurs Viking), les étages du L01 sont démontés et le
lanceur est couché dans ses container de transport.
12 septembre après recette du CNES, les cinq conteneurs blancs
des trois étages et des deux demi-coiffes du lanceur L01 sont chargés dans une
barge sur la Seine au port des Mureaux.
Les
éléments plus légers, comme la jupe et la case, rejoignent le port par la route.
Là, les conteneurs sont chargés à bord du « Carimaré », un cargo de 8 100 t
appartenant à la CGM qui quitte Le Havre le 15 septembre. Destination : le
Dégrad des Cannes, le port de Cayenne.
Le container du L140 prêt à être chargé au havre.
Dans la cale attendent les container du L33 et du H8
Chargement du container H8 au Havre
Cayenne, déchargement du container L140
Le 1er octobre commence la campagne de
préparation qui en cinquante-six jours de travail, doit conduire au lancement.
Après déchargement au Degrad de Cannes, le port de Cayenne, le convoi L01
atteint Kourou en empruntant la RN1 seule et unique route de ce côté du
continent sud américain. Il faudra quatorze heures de travail pour monter le L140
sur l'aire de lancement. Sur ce dernier sont mis en place ensuite la jupe
inter-étage puis le deuxième étage. Les premiers travaux commencent sur ces
étages : raccordement des prises ombilicales, contrôles et remplissages des
régulateurs des moteurs, etc.
Les mesures filaires des deux premiers étages sont contrôlées les 9 et
10 octobre. Ces mesures sont transmises par fil (d'où leur appellation) jusqu'au
moment du décollage au travers de prises électriques largables. Elles
permettent le contrôle des opérations sur les étages (remplissages,
pressurisation) même sans fonctionnement de la télémesure. Sur le L140 ce
type de mesure permet de contrôler le fonctionnement des moteurs après
l'allumage mais avant le décollage, ce qui permet d'arrêter les moteurs et
d'annuler le décollage en cas de constatation d'anomalie.
Les contrôles d'étanchéité basse pression s'achèvent le 17 sur le L140 et
sont momentanément interrompus sur le L33 où ils ont pris du retard. Des
difficultés sont apparues sur les installations sol d'alimentation en hélium
et de balayage à l'azote du système de pressurisation de l'étage. Sur le L140
certaines petites fuites ont été découvertes et réparées. Huit clapets
anti-retour ont été ajoutés sur les circuits de régulation de rapport de
mélange des moteurs; cette modification de dernière minute vise à faciliter
les opérations sur les moteurs en cas de tir avorté.
Le 18, les essais d'étanchéité des sphères hélium du système de
pressurisation du L33 donnent de bons résultats.
Le 19 octobre, le troisième étage est mis en place.
Au niveau du L140
l'installation des carénages, empennages et guêtres commence. Ces éléments
volumineux ne sont pas montés sur l'étage lors du transport en Guyane. De plus
il est nécessaire qu'ils soient absents pour faciliter l'accès aux moteurs
lors des opérations de préparation et contrôle. L'opération de mise en place
va durer jusqu'au 14 novembre.
Le 20 octobre, l'opération de raccordement pneumatique du H8 au sol s'avère
plus difficile que prévu. Elle ne s'achève que le lendemain à 3 heures du
matin. Cette opération comprend la connexion des plaques à clapets oxygène et
hydrogène qui permettent les diverses opérations de remplissage et
pressurisation nécessaires pour les contrôles et préparations au lancement.
Quelques problèmes d'interfaces mécaniques se présentent alors entre ces
plaques et les bras horizontaux qui supportent les tuyauteries flexibles en
provenance du mât ombilical et des installations sol. Ces bras sont rétractés
quatre secondes avant le lancement pour déconnecter la partie sol des plaques
à clapets. De nombreuses fuites affectent le stockage hélium sol. Plusieurs
modifications sont décidées; l'opération va durer jusqu'au 15 novembre. Le
programme de vol de l'ordinateur de bord (OBC) est chargé dans un calculateur
sol pour vérification.
Le 22 octobre le couple de rotation de la turbopompe du troisième étage est
contrôlé. L'essai a pour but de vérifier que les joints dynamiques entre les
ensembles tournant et le carter n'ont pas gommé comme cela peut se produire en
présence d'humidité. Un gommage trop élevé pourrait empêcher la rotation de
la turbopompe au démarrage et entraîner un non allumage du moteur.
Le 23 octobre la case à équipements est installée sur le H8.
Le 24 octobre s'achèvent les contrôles d'étanchéité du L33. Un contrôle
des ordres de pilotage des moteurs a lieu avec la centrale inertielle sur table.
Les 29 et 30 octobre sont effectués les contrôles des mesures filaires
fonctionnelles du H8.
Les 30 et 31 octobre est installée sur le L33 la housse formée de panneaux de
polystyrène aluminisé qui permet de limiter l'échauffement des ergols des
réservoirs sous l'éclairage du soleil. Cette housse est larguée par panneaux
au décollage ce qui donne toujours l'impression de la rupture de quelques
morceaux du lanceur.
L'inter-étage 1/2 avec la housse de protection
thermique installée sur l'étage L33
Le 2 novembre, des contrôles de l'automate de
largage montrent des défectuosités du système qui entraînent un remplacement
de l'automate. Cet automate est un organe sol chargé de contrôler les
opérations dans les dernières secondes avant le lancement; son bon
fonctionnement est donc vital.
Puis le 7, les opérations de mise en place des carénages et du bouclier
thermique fermant le lanceur à sa base sont momentanément interrompues dans
l'attente de la solution d'un problème lié au système de commande du L14O. Le
groupe organes de commande se trouve en effet sous un carénage et une
intervention éventuelle n'est possible que si le carénage n'est pas
complètement monté. Les radars de trajectographie sont contrôlés.
Le 9, des difficultés apparaissent cette fois dans les contrôles des
détendeurs et des étanchéités du troisième étage. Malgré le travail en
deux équipes, cette activité prend du retard. Des travaux de renforcement de
structure sont entrepris ensuite sur le cône avant de la coiffe.
Le 13, le dernier carénage et le dernier empennage sont montés sur la baie de
propulsion du premier étage.
Le 14 est lancée une fusée-sonde Eridan
pour vérifier la disponibilité des moyens de trajectographie et d'acquisition
de mesures et les liaisons entre stations (Kourou. Natal, Salinopolis,
Ascension).
Le 15, les essais de fonctionnement des systèmes sol de régulation de pression
dans les réservoirs H8 se déroulent correctement. Ces systèmes doivent
ajuster finement la pression dans les réservoirs en évitant que la pression
oxygène ne dépasse la pression hydrogène sinon le fond commun entre ces deux
réservoirs peut se retourner et l'étage exploser.
Les carénages sur les moteurs Viking du L1401
ont été montés. Les crochets qui retiennent le lanceur ne sont pas encore
"badigeonnés" de peinture thermique.
Le 20, l'inspection du L33 est terminée, les assainissements à l'hélium du H8
également. Ces assainissements ont pour objectif de supprimer toute trace
d'oxygène et d'azote des circuits du troisième étage afin d'éviter par
exemple la formation de cristaux d'oxygène dans l'hydrogène liquide. Seul
l'hélium est encore gazeux à la température de l'hydrogène liquide et sa
présence n'a pas d'inconvénients. Le lanceur et tous les moyens de la base
sont enfin prêts pour l'opération de répétition de lancement qui va avoir
lieu le lendemain avec le remplissage de l'étage H8 en ergols cryogéniques.
Le 21 novembre il reste vingt et un jours ouvrables avant le lancement.
L'opération de répétition dite DC H8 (pour Démonstration de Chronologie)
commence à 5 h du matin. Pendant la matinée les lignes sol d'alimentation
en oxygène et hydrogène sont mises en froid; la tour qui protégeait le
lanceur est reculée. Le lanceur apparaît tronqué: le satellite et la coiffe
ne sont pas encore en place.
A partir de 14 h 24 commence le remplissage en oxygène liquide du troisième
étage; l'opération exécutée en automatique dure une heure.
A 15 h 32 démarre le remplissage hydrogène. Également conduite en automatique,
l'opération dure cinquante-huit minutes.
A 16 h 17 la sphère hélium du troisième étage est mise en pression et en
froid. L'opération de répétition ne comprend pas de remplissage des deux
premiers étages. Cette opération est moins délicate que la préparation du
troisième étage et d'autre part les ergols utilisés détériorent lentement
mais sûrement les joints (en particulier le N204) et il vaut mieux éviter de
remplir les deux premiers étages si cela n'est pas nécessaire. Les
réservoirs, tuyauteries et vannes ont toutefois été qualifiés pour résister
trente jours à la présence d'ergols. Pour achever la répétition. des
séquences de chronologie sont réalisées jusqu'au HO, instant théorique du
lancement. La première séquence s'arrête sur une anomalie de pression dans le
système POGO du premier étage. La deuxième séquence est arrêtée comme
convenu à HO-15 s avec ensuite retour en configuration HO-6 mn et ,reprise des
commandes en manuel.
A 18 h 13 commencent les opérations de vidange du troisième étage. D'abord,
pendant 15 minutes, la vidange est effectuée par les circuits de purge. C'est
cette configuration qu'il faudrait utiliser en cas de tir avorté. Le tir
avorté se produit si après HO, instant d'allumage des moteurs du premier
étage. une anomalie est détectée. Dans ce cas les moteurs sont arrêtés mais
les principales prises ombilicales du troisième étage, plaques à clapet
oxygène et hydrogène ont alors été larguées depuis HO-4 s. Il ne reste pour
contrôler et vidanger le troisième étage que deux petites prises ombilicales,
dites connecteurs de purge. La vidange de l'étage par ces prises est très
longue; et. le 21 novembre, c'est donc cette configuration délicate qui est
testée d'abord. La deuxième phase de vidange est effectuée avec
pressurisation par le sol pour déclencher volontairement, en montant la
pression, les soupapes de sécurité des réservoirs et vérifier leur
fonctionnement. Enfin une vidange normale achève les opérations à 18 h 50
pour l'oxygène et 19 h O3 pour l'hydrogène. Normalement, lorsque le lanceur
est pressurisé aux valeurs d'attente, il tient à un vent de 15 m/s. Si le vent
dépasse cette valeur, il faut monter aux pressions plus élevées qui sont
celles des réservoirs juste avant décollage. Pendant la répétition de
chronologie, le vent soufflait 12 m/s mais il y a eu tout à coup une rafale à
18 m/s. Heureusement, les limites données comprennent quelques marges de
sécurité et le lanceur a tenu.
Les jours suivants, les équipes s'attellent au contrôle des systèmes de
pilotage et des commandes de vannes. Le lancement est confirmé pour le 15
décembre.
28 novembre : la centrale inertielle a été remplacée par sa rechange a la
suite de contrôles négatifs.
Le lendemain a lieu le déroulement des séquences de contrôle global du
lanceur avec la participation des moyens du Centre spatial guyanais.
1er décembre, ELA 1 et le CDL1
Coiffe d'Ariane L01 dans le HA,
hall d'assemblage. A droite, la tente à flot laminaire qui assure à la CAT une
ambiance propre pendant la préparation et les contrôles. Il n'ya pas encore de
bâtiment spécifique pour les charges utiles au Centre technique en 1979.
Mise en place de la CAT sur le
lanceur: transport dans le CCU, hissage dans la tour et mis en place de la
coiffe en PF8. un lest métallique sera positionné au dessus pour atteindre les
1600 kg exigés par la mission.
Novembre 1979, avant même L01, le
carnet de commande Ariane est déjà bien garni (hors vol de
développement) ...10 contrats Fermes (F) 4 Options (O) 8 clients
Potentiels (P)
Le 1er décembre, la capsule technologique
Ariane (CAT). qui est la charge utile de ce premier vol, est installée au
sommet du lanceur. Trois jours plus tard, les deux demi-coiffes sont assemblées
sur le lanceur.
Le 6, la télémesure de la CAl est vérifiée ; les systèmes de commande du
L14O et du L33 font l'objet d'un contrôle. Le programme de la chronologie est
chargé dans l'ordinateur K1 qui, avec son confrère K2, commande les
opérations des dernières minutes avant le lancement.
Comme prévu, l'opération de lancement fictif se déroule le 7. Le H 0 a lieu à
11 h 00 heure locale. Cet exercice ne concerne que le CSG (la base de lancement
Ariane. les moyens de poursuite optique et radar et les systèmes de réception
des télémesures).
Le 10, nouvelle répétition de lancement appelée cette fois répétition
générale. L'exercice consiste à dérouler la chronologie du lanceur en temps
réel, jusqu'au H 0, 11 h locale et même au delà pour le CSG qui simule, pour ses
moyens de mesure, la trajectoire théorique du lanceur. Les moyens mis en oeuvre sont non seulement le Centre spatial mais
également toutes les stations dites aval (Cayenne, Salinopolis et Natal au
Brésil, Ascension dans l'Atlantique). On ne fait
pas les pleins des réservoirs en propergols. Pour diverses
raisons, techniques (les réservoirs sont attaqués par le comburant et ont donc
une durée de vie, une fois pleins, limitée) et économiques (l'oxygène et
l'hydrogène liquides s'évaporent et cela coûte cher), les pleins ne seront faits
qu'au cours de l'ultime chronologie, celle du lancement, prévu le 15 décembre.
L'opération se déroule correctement,
malgré un retard de 44 minutes sur le HO,
surtout lors du passage délicat de la séquence finale pilotée
par les ordinateurs, les six dernières minutes (séquence synchronisée) de
chronologie en temps négatif décroissant jusqu'au H zéro, instant d'allumage des
moteurs. Pas de problème lors de l'ouverture des bras cryotechniques, qui
quittent les flancs du troisième étage sept secondes avant la mise à feu pour se
mettre en croix, tel le Corcovado de Rio-de Janeiro.
Salle Jupiter, le 10
décembre 1979, répétition générale. Au premier rang de gauche à droite: Bernard
Feuillet (télémesure), Jean-Claude Faugas (DDO adjoint), Jean-Pierre Rouzeval (DOO),
Hubert Palmiéri (chef de mission), Roger Vignelles (chef du projet Ariane).Au
second rang de gauche à droite: Yves Dejean (soutien logistique), Roger
Wermeister (caché par B. Feuillet), Philippe Noël (mesures externes et
internes), Jean-Edmond Gruau (inspecteur général), Albert Vienne (directeur du
CSG), Pierre Bescond (directeur adjoint technique), Pierre Niel (responsable des
opérations du CSG), moi-même (Méthodes et Qualité), Frédéric d'Allest (directeur
des lanceurs), et M. Naumann de l'ESA représentant Raymond Orye.Derrière P.
Bescond et P. Niel on reconnaît, dans leur cage de verre, les responsables des
stations-aval: Pierre Ribardière et Jean-Claude Le Gall.
11 décembre: les bouteilles des systèmes de commande et RNCO du L140 et du L33
sont pressurisées en azote à 200 bars. Les sphères hélium du système de
pressurisation du deuxième étage sont pressurisées à 200 bars. Les
réservoirs du H8 sont assainis. La dernière revue technique avant le lancement
commence. Cette revue permet l'examen des derniers points en suspens sur le
lanceur concernant soit les matériels présents sur L01 soit les derniers
développements en cours. Les incidents survenus lors de la chronologie depuis
le début du mois d'octobre sont passés en revue. Participent à cette revue le
CNES, l'Agence spatiale européenne et les principaux industriels du programme.
Photo de famille au CSG devant Ariane L01,
juste avant le remplissage des réservoirs en ergols et le retrait de la tour
Mercredi 12 décembre, J - 3, le CNES donne le
feu vert pour le lancement :
les réservoirs d'eau du L140 et du L33 sont remplis; le clapet de remplissage UDMH du L33 qui fuyait est remplacé. En métropole, à Villaroche, la SEP
procède à un dernier essai de déverrouillage des connecteurs de purge, les
prises ombilicales du troisième étage qui se détachent après le décollage.
Quelques temps auparavant, un essai a montré qu'après une pluie et la
transformation d'eau en glace dans le connecteur, en raison de la température
basse de l'hydrogène ou de l'oxygène liquide, le connecteur pouvait ne pas se
détacher. Une bavette pare-pluie a été installée et de nouveaux essais sont
effectués pour montrer l'efficacité de cette protection. En métropole
également, la presse commence a publier de longs articles sur le lancement
prochain :
" L'Europe sur orbite - la fusée Ariane fera-t-elle un pied de nez à
l'oncle Sam ?" "Bientôt le jour J pour la fusée européenne Ariane -
la fièvre d'un samedi matin". " Ariane, le défi européen ",
" La fin du monopole américain ". " Ariane sonnera le réveil de
Kourou ".
La revue avant lancement conclut ses travaux le 12 décembre en donnant le feu
vert pour le lancement. L'inspecteur général du CNES approuve en ajoutant que
la seule action raisonnable consiste maintenant à brûler un cierge (entorse à
l'approche scientifique ?).
Jeudi 13 décembre, J - 2.:
Tous ceux qui doivent assister au lancement sont maintenant arrivés à Kourou.
A 10 h 30 une conférence rassemble dans la grande salle du bâtiment optique au
centre technique les VIP et la presse. Dans le PC de tir règne une certaine
excitation : les réunions de coins de pupitre sont fréquentes pour permettre
d'ajuster quelque modification mineure de surveillance de paramètres en
séquence finale de chronologie. Des opérateurs discutent avec leurs
correspondants sur la tour de service au moyen de walkies-talkies. La fusée est
encore accessible pour une dernière visite. Demain il sera trop tard ; l'accès
à la tour ne sera plus possible après les pleins des deux premiers étages.
Le CDL 1
Pour les techniciens présent à Kourou, c'
est la première fois que le lanceur est visible dans son "entier".
Dans l'année écoulée la maquette ergols a fourni une première
représentation de la fusée et de ses 47 mètres de hauteur, mais cette
maquette ne constituait qu'un exercice final. Cette fois, c'est un " vrai
"lanceur complètement opérationnel qui doit s'envoler dans deux jours.
L'émotion qui naît à le regarder doit aussi beaucoup à ce qu'il représente:
sept ans de travail pour des milliers de personnes. Pour l'instant, il reste
captif de la tour et seuls quelques tronçons blancs sont visibles entre des
plateformes gris- vert.
En bas, l'allure est familière : les quatre moteurs, les quatre empennages,
c'est bien une fusée. Aux niveaux supérieurs, chaque tronçon resterait
anonyme si le spécialiste ne savait y distinguer le détail, les protubérances
qui indiquent à quel niveau de quel étage on se trouve. Ce sont surtout ces
protubérances, renflements et capotages de toutes sortes, qui frappent quand on
a en mémoire l'aspect lisse et élancé de la fusée vue de loin. Chaque étage
a ses fusées de freinage ou d'accélération pour les séparations. des
systèmes de contrôle en roulis, des carénages d'antennes qui sont recouverts
d'une structure de protection recouverte elle-même de liège aggloméré qui
protègera la protubérance de l'échauffement du frottement de l'air à grande
vitesse. Tout cela est peint en couleur aluminisée pour que s'écoulent les
charges électrostatiques générées par ce même frottement de l'air. A tous
les niveaux les plate-formes sont traversées par des câbles, supports et
tuyauteries flexibles qui relient la tour ombilicale aux prises du lanceur. La
multiplicité de ces prises ombilicales c'est aussi ce qui frappe quand on voit
le lanceur pour la première fois. Prises de remplissages, prises pneumatiques,
prises électriques chaque avant, chaque arrière d'étage a les siennes quand
il n'y en a pas au milieu comme sur le L14O. Chaque prise est liée à la tour
ombilicale par les tuyaux ou câbles électriques qui sont sa raison d'être,
mais aussi par le câble de déverrouillage normal au décollage, par le câble
de déverrouillage de secours et par le câble de pendulage qui lui évite de
retomber n'importe comment. Dans les deux secondes qui vont suivre le décollage
tout cela va s'animer, se déconnecter et tout doit fonctionner de manière
parfaite. Le mât ombilical est bardé de matelas sur lesquels les parties sol
des prises vont amortir leur choc ce qui leur évitera de rebondir et de
détériorer le lanceur. En haut du premier étage. une ceinture de drapeaux des
pays membres de l'ESA fait le tour de la fusée. Le deuxième étage n'est pas
blanc; recouvert d'une protection thermique aluminisée facettes, il porte la
mention " ARIANE L01 " en lettres géantes. Au décollage la sangle
qui tient ces panneaux sera tirée par le mouvement du lanceur et ceux-ci vont
voler en éclats autour de la fusée.
Le troisième étage est brun aluminisé, sa protection thermique collée sur
les réservoirs est recouverte aussi d'une peinture conductrice d'électricité.
Au niveau de la case, au rétreint de la coiffe, un orifice permet de voir le
satellite, la CAT. Au niveau de la coiffe se trouve un des plus curieux
éléments largables du lanceur. Une ceinture de toile équipée de bouchons
fait tout le tour de la coiffe pour en fermer les évents. Pour que la coiffe se
dépressurise au fur et à mesure que l'air se raréfie autour du lanceur à la
montée et pour éviter l'explosion de cette coiffe il faut des orifices de mise
à l'air du volume intérieur. Au sol, aussi bien pour empêcher l'entrée des
insectes guyanais que pour permettre la climatisation de l'air autour du
satellite, il faut fermer ses orifices. Le mécanisme de verrouillage de cette
ceinture est tout simplement du velcro et un câble lié à la tour ombilicale
assure le détachement de l'ensemble au décollage.
Au bas de la tour, les bras articulés qui retiennent le lanceur jusqu'à 3,3
secondes sont tartinés d'une épaisse couche blanche d'un enduit protecteur qui
sera bien nécessaire quand les jets à 2 500 mètres par seconde des moteurs
Viking viendront les frapper.
CDL 1, le COEL, (chef des opérations ELA), le "pacha" d'un
bunker, Alexandre Merdignac à sa console
Vendredi 14 décembre, J - 1.
A 9 h 57 heure locale, la route nationale 1, la seule route côtière de Guyane
qui passe à 500 mètres de la zone de lancement, est fermée à la circulation.
Elle sera ouverte puis fermée alternativement, suivant l'état de danger des
opérations sur le lanceur, dans la journée et le lendemain.
A 10 h 05, commence le plein de N2O4 du deuxième étage. Une fuite apparaît à
l'accrocheur de remplissage, ce qui nécessite une intervention sur place dans
la tour.
A 11 heures, les opérations reprennent mais sont bientôt arrêtées par une
nouvelle fuite. L'équipe d'intervention en scaphandre complet change un joint
sur l'accrocheur sol. L'opération se poursuit, elle s'achèvera à 12 h 20.
Puis c'est le remplissage N204 du premier étage, dans l'après-midi, celui du
réservoir UDMH du L140 et le soir venu, celui du réservoir UDMH du L33.
De 22 heures à 22 h 30, a lieu une dernière inspection du système de commande
du L 140, suite à un doute sur l'absence ou la présence d'un obturateur.
Première chronologie L01 en salle
Jupiter avec Roger Vignelles (chef de projet), Frédéric D'Allest (directeur des
laceurs au CNES) et Yves Sillard (DG du CNES)
Samedi 15 décembre, 5 h 40.
Il pleut, le retrait de la tour commence. Dans la nuit ont eu lieu les armements
des systèmes pyrotechniques du lanceur, des essais d'émission et réception de
télémesure entre le lanceur et le satellite d'une part et les stations CSG
d'autre part. La centrale inertielle a été mise en oeuvre et alignée
(introduction des références de lieu et temps).
Après le retrait de la tour, les sphères hélium du système de pressurisation
du deuxième étage sont pressurisées à leur valeur vol. Les circuits
hydrogène et oxygène du troisième étage sont assainis, les lignes sol sont
mises en froid.
7 h 50 : La chronologie s'arrête trente minutes à -3 h OS pour attendre une
amélioration des conditions météorologiques pour l'heure du nouvel HO qui
glisse donc de 11 heures à 11 h 30.
8 h 30 Début du remplissage en oxygène liquide puis du remplissage en
hydrogène liquide. On s'attaque ensuite à la pressurisation des réservoirs du
premier et du deuxième étages à leur valeur vol.
9 h 33 Une coupure d'alimentation électrique perturbe quelques moyens de l'ELA
(disjonction de quatre compresseurs) et du CSG (arrêt du radar Bretagne 1) mais
ne nécessite pas d'arrêt de chronologie.
9 h 56 Le réservoir oxygène est rempli. Commence alors le complément de
plein. opération qui vise à compenser périodiquement la perte par
évaporation qui se produit dans le réservoir.
10 h 05 On exécute les derniers contrôles de séquences électriques.
10 h 15: Le réservoir hydrogène est rempli et passe en procédures complément
de plein également.
10 h 17 La sphère hélium du troisième étage est mise en pression et
température.
11 h 00 La CAT, le satellite, est mise sous tension.
11 h 24 Début de la séquence synchronisée : 6 minutes avant la mise à feu. A
partir de cet instant toutes les opérations sont déroulées en automatique par
les deux ordinateurs K1 et K2. K1 assure la mise en oeuvre électrique, tandis
que K2 s'occupe des systèmes ergols et fluides. Les deux ordinateurs
travaillent à partir du même décompte de temps, d'où l'appellation "
Séquence synchronisée ". Les regards convergent vers I'ELA. Les
spectateurs les plus rapprochés sont dans le PC de tir mais ils ne verront le
décollage que sur les caméras de télévision. A 3 200 mètres de là. les
journalistes qui ont la fusée en vue directe sont les personnes les plus
proches à l'air libre. Au-delà, à 12 kilomètres se trouve le centre
technique avec au sommet du bâtiment Jupiter, un local réservé à la presse
et aux invités. A cette distance, l'aire de lancement n'est plus visible,
cachée par la forêt, et seul le mât météorologique fournit un repère
indiquant où la fusée va sortir des arbres. Dans ce même bâtiment Jupiter se
trouve la salle de contrôle des opérations qui est en liaison avec le centre
de lancement pour la conduite des opérations de préparation au tir. A
proximité. en salle projet, les représentants des différents industriels qui
ont participé au programme s'apprêtent à suivre le vol sur les écrans de
télévision et sur une table traçante qui donne l'altitude de la fusée et sa
position sur une mappemonde entre l'Amérique du Sud et l'Afrique. La salle
projet est en liaison avec le centre de lancement; en cas d'anomalies, l'avis
des spécialistes présents dans la salle peut être sollicité.
Pour l'instant, tout se passe bien, le responsable des opérations au centre de
lancement, le COEL (coordinateur des opérations de l'ensemble de lancement) n'a
pas à faire appel à des conseils. À 13 kilomètres de la base, le public peut
assister au décollage depuis la montagne Canapas. Malgré la distance, le
lanceur et la tour de lancement sont visibles depuis le sommet de la montagne,
noyés au milieu de la forêt équatoriale. Sur les plages de Kourou, à 18
kilomètres du pas de tir, une foule attend également le spectacle de la fusée
sortant de l'horizon d'arbres, suivie 40 secondes plus tard du grondement des
240 tonnes de poussée. Beaucoup plus loin, en métropole, à Evry,
rue Alexandre Soljenitsyne,
le
président Giscard d'Estaing s'est rendu au CNES pour suivre le lancement sur
les écrans de télévision.
HO - 1 mn : la séquence synchronisée
s'obstine à se dérouler sans incident et file vers le HO.
HO + 0,6 s : les moteurs s'allument.
HO + 3,3 s : le lanceur va décoller.
HO + 5 s: les moteurs tournent toujours mais la fusée est toujours sur son pas
de tir.
HO + 8 s : les moteurs s'éteignent. Pour les spectateurs extérieurs un nuage
gris orangé s'élève au-dessus de la forêt puis plus rien.
TIR AVORTÉ !
Le cas quasi improbable, que l'on attendait une fois sur cent, vient de se
produire lors de la première tentative de tir. Dans le centre de lancement, la
surprise est aussi vive qu'ailleurs. Fort heureusement, le cas avait été
prévu. Quelques courtes secondes de flottement et la procédure à suivre en
cas de tir avorté est sortie de son tiroir. La remise en sécurité du lanceur
commence sous la direction de Guy Dubeau COEL.
En moins de dix minutes, il est clair qu'une anomalie s'est produite sur le
moteur A.
A HO + 1,7 s une explosion s'est produite dans une tuyauterie de mesure de
pression à l'intérieur de la chambre de combustion. La mesure indique 60 bars
mais le pic de pression a dû atteindre plus de 150 bars. Quatre capteurs sont
branchés sur cette même ligne de mesure. Deux d'entre eux sont exploités pan
l'ordinateur K1 à partir de HO + 2,8 s pour dire si le moteur atteint son
régime nominal. Cette vérification est nécessaire pour s'assurer que le
lanceur ne va pas décoller avec une poussée insuffisante et, par exemple, se
laisser entraîner vers le tour ombilicale par le vent. Il pourrait aussi y
avoir une défaillance grave d'un moteur. Si un moteur s'éteint alors que la
fusée est à quelques mètres au-dessus du pas de tir, celle-ci redescend
s'écraser sur son point de départ déclenchant une explosion équivalente à
10 tonnes de TNT. Outre l'échec du lancement, il faudrait alors déplorer de
nombreux dégâts sur l'aire de lancement et au moins une année d'interruption
des tirs pour les travaux de reconstruction. Ce scénario catastrophe est
d'ailleurs celui que certains observateurs ont cru voir arriver à la station de
réception de télémesure de Galliot, sur la montagne des Pères, à proximité
de Kourou. En cet endroit, les mesures de pression foyer des moteurs sont
affichées en temps réel. Les observateurs ont donc noté l'allumage parfait
des quatre moteurs puis ont cru que le lanceur avait décollé. Quand à HO + 8
s les moteurs se sont arrêtés, ils ont mentalement vu le lanceur, en principe
à ce moment à 25 mètres d'altitude, retomber brusquement vers son point de
départ avant de comprendre qu'il s'agissait d'un tir avorté.
Après ce tir "avorté", les procédures de mise en
sécurité d'Ariane commencent: On lance la chasse du L140, qui a pour but de
remplacer dans les réservoirs les gaz chauds du générateurs par de l'azote et la
main mise sur les systèmes électriques, le temps de commencer la vidange du H8
par les canalisations de purge.
Que s'est-il donc passé lors de cette
tentative de lancement ?
L'explosion survenue dans la tuyauterie a fait dériver les mesures vers de plus
faibles valeurs et l'ordinateur n'a jamais vu le moteur fonctionner à son
régime nominal. L'automate phase de langage qui envoie les dernières commandes
n'a pas reçu le feu vent de l'ordinateur et n'a pas déverrouillé les crochets
qui retiennent le lanceur.
A HO + 7,8 s, comme il le fait de toute façon par sécurité, il a envoyé
l'ordre d'arrêt des moteurs. L'explosion dans la tuyauterie de mesure n'a pas
créé d'autres dégâts. et, en particulier, le moteur A comme les trois autres
fonctionnait parfaitement. Le phénomène est connu. Au démarrage du moteur, du
peroxyde d'azote liquide entre d'abord dans la chambre de combustion ; quelques
gouttes peuvent entrer dans la tuyauterie de mesure; puis quelques centièmes de
secondes plus tard arrive I'UDMH qui, lui aussi, peut entrer dans la tuyauterie
de mesure. Dans la chambre I'UDMH et le peroxyde d'azote s'enflamment
spontanément au contact l'un de l'autre et le moteur démarre. Dans le volume
presque fermé de la tuyauterie de mesure de 6 millimètres de diamètre la
même réaction a des conséquences beaucoup plus violentes. Le phénomène
s'était produit, très violemment également, lors du premier essai de baie de
propulsion sur le banc PF 20 de la SEP à Vernon en 1976. Pour l'éliminer, la
pression du réservoir UDMH avait été augmentée et celle du réservoir N2O4
diminuée afin de rendre l'arrivée des liquides plus simultanée dans la chambre.
Une quarantaine de démarrages de moteurs sur premier étage avaient ensuite
démontré que le problème était réglé bien que des explosions de petite
amplitude soient encore visibles. A posteriori l'analyse de ces essais a
montré que le phénomène L01 avait une chance sur 50 0000 de se
produire ce qui laisse supposer qu'un nouveau facteur est intervenu pour
favoriser l'explosion. Quoi qu'il en soit, l'expérience ne sera pas reconduite
sur la deuxième tentative de lancement pour voir si le phénomène est rare ou
non des mesures de sécurité vont être prises.
En attendant, ce 15 décembre, le lanceur est plein de 187 tonnes d'ergols et il
faut le vider. Les plaques à clapets du H8 ont été larguées à - 4 s et la
vidange ne peut plus se faine que pan les petites tuyauteries des connecteurs de
purge. La première vidange attaquée est celle du troisième étage. À 13 h 03
une alerte la pression dans le réservoir hydrogène monte sous l'effet de
l'évaporation de l'hydrogène. Dans ce cas une soupape permet automatiquement
de limiter la pression 3.2 bars 3.4 bars ; 3,55 bars; la pression monte et la
soupape ne fonctionne pas! Si le réservoir explose tout le lanceur et ses 187
tonnes d'ergols vont suivre. Il existe heureusement une panade, faire
fonctionner le système de contrôle d'attitude et roulis qui est en
communication avec le réservoir hydrogène. La pression redescend. Toutes les
cinq minutes le phénomène recommence et il faut manuellement commander une dépressurisation. A 13 h 10. la pression dans le réservoir atteint même 3,7
bars début de panique en salle projet à 12 kilomètres de là où les
paramètres sont affichés sur écrans de télévision A 14 h 42 la soupape du
réservoir hydrogène se remet à fonctionner. Le réservoir hydrogène est
pratiquement vide à 19 h 25. L'opération a demandé 7 h 50. Quelques personnes
peuvent sortir du CDL, tout près du pad grâce à une dérogation de la
Sauvegarde". Mais il faudra
encore trois heures pour que les dernières traces de liquide s'évaporent. La
vidange du réservoir oxygène, entamée également en début d'après-midi
durera 15 heures!
Pendant tout ce temps une surveillance humaine permanente et épuisante est
nécessaire pour parer des incidents du type de celui du réservoir hydrogène
de l'après-midi.
Simultanément, dans l'après-midi, les équipes sur place et en métropole se
sont mobilisées pour attaquer les huit jours de travaux de remise en état qui
doivent conduire à une nouvelle tentative de lancement. Déjà une dizaine de
personnes de la SEP étaient présentes en Guyane pour préparer les
interventions nécessaires en cas de tir avorté. En métropole, les personnes
formant l'équipe de renfort "tir avorté " étaient déjà
désignées. Le non-décollage du lanceur sur les écrans de télévision a
été le signal de la mobilisation. Les places étaient réservées à l'avance
par le CNES sur le vol Paris-Cayenne d'Air France de 15 h 15. Ce sont les
épouses des ingénieurs de la SEP de Vernon qui les ramèneront dans leurs bagages
avec tous le matériel nécessaire, indispensables et urgents pour Kourou,
escortées de Vernon à CDG. La compagnie AF prendra le relais sécurité demandé
par le CNES jusqu'à Cayenne.
Le tir avorté du 15
décembre
Dès la première tentative de lancement,
le 15 décembre, la chronologie de lancement s'était déroulée
normalement jusqu'à la mise à feu des moteurs du premier étage, et
même au-delà puisque le tir ne fut arrêté que quelques fractions de
secondes avant l'ouverture des crochets devant libérer la fusée -
Ariane ". C'est d'autant plus regrettable qu'en fait la fusée
fonctionnait parfaitement et qu'elle aurait pu décoller du premier coup
I
L'incident qui a provoqué ce " tir
avorté " est une fausse Information des capteurs de pression de
fonctionnement d'un des quatre moteurs du premier étage, qui a été
détectée après la mise à feu (à H + 2,8 s) mais avant le décollage
de la fusée. Les ordinateurs du banc de contrôle ont donc interrompu
la séquence de lancement en stoppant les quatre moteurs (8 s après
l'allumage) et en interdisant le largage (prévu à H + 4 ~) des
crochets qui retiennent la fusée au sol.
En effet, si l'information reçue par les
ordinateurs avait été exacte (baisse de pression d'un des moteurs), la
fusée n'aurait pas pu décoller normalement aussitôt libérée par les
crochets, elle se serait couchée et aurait explosé entraînant du
même coup la destruction du pas de tir. C'est précisément pour
éviter une telle catastrophe que l'information des capteurs de pression
de fonctionnement des moteurs du premier étage est ainsi prise on
compte dans la séquence finale de lancement. Ce sont d'ailleurs les
seuls capteurs de la fusée à jouer un tel rôle.
Ces capteurs différentiels mesurent une
différence de pression dans une plage relativement étroite (- 5 à+ 15
bars) on comparant, l'un la pression foyer de la chambre de combustion
à la pression d'injection de I'UDMH dans le moteur, et l'autre, la
même pression foyer à la pression d'injection du peroxyde d'azote (N2
04) les pressions d'injection étant prises on sortie de pompes. La
valeur nominale de cette différence de pression pendant la mesure
(entre H + 2,8 s et H + 4 s) est de 9 bars, soit la différence entre la
pression foyer (54 bars) et les pressions d'injection des ergols (63
bars) qui sont identiques puisque les pompes de chaque ligne d'ergol
sont actionnées par la même turbine.
Lors de la mise à feu de la fusée à
Kourou, les mesures de pression de trois moteurs (B, C, D) étaient
nominales, mais celle du quatrième moteur sortait nettement des limites
fixées à l'ordinateur qui a donc arrêté le tir. en réalité, tous
les moteurs fonctionnaient normalement. l'anomalie provenait uniquement
des capteurs du moteur A qui avaient été détériorés par une
surpression locale survenue dans leur ligne d'alimentations au moment de
l'allumage. Cette surpression, provoquée par la micro-combustion de
quelques gouttes de peroxyde d'azote et d'UDMH dans la fine tuyauterie
,(4 mm de diamètre) d'alimentation, a complètement détérioré les
membranes des capteurs, les rendant inutilisables. Mais cela ne pouvait
être décelé sur le moment.
Le phénomène était pourtant connu. Il
s'était déjà produit lors du premier tir de groupement de quatre
moteurs du premier étage à Vernon. On avait alors modifié le réglage
d'alimentation on ergols des moteurs et constaté la disparition -
presque complète - du phénomène qui ne s'était pas reproduit de
façon aussi importante lors des vingt tirs d'essai au banc effectuée
ensuite.
Il s'est de nouveau reproduit lors du
premier tir à Kourou, sans doute par suite de la configuration
différente du lanceur sur son pas de tir. L'incident n'aurait cependant
pas dû prendre de telles proportions, Mais il s'est avéré qu'il n'y
avait pas une redondance complète de la mesure effectuée par ces deux
capteurs, car ils étaient alimentés par la même canalisation (pour ne
faire qu'un seul trou dans la chambre).
Pour éviter le renouvellement de cet
incident lors de la tentative suivante, le CNES a donc décidé de ne
plus prendre en compte la mesure des capteurs différentiels (maintenus
en place avec des capteurs neufs afin de ne pas perturber la
configuration du système), mais au contraire d'utiliser les données de
trois autres capteurs de pression absolue mesurant respectivement la
pression foyer et les pressions d'injection de l'UDMH et du N2 04. Ceci,
avec des seuils de mesure élargis par rapport aux limites initiales
(mesures à 75 % de la pression au lieu de 90 %). Pour cela il a suffit
de modifier le câblage des circuits de prise de mesure, sans intervenir
sur le logiciel, pour fournir à l'Automate de Phase de Largage (APL)
les données lui permettant de délivrer les derniers ordres autorisant
le décollage du lanceur.
Par contre, la 'logique de mesure avait
été modifiée (schéma) pour prendre en compte cette fois les valeurs
absolues des pressions foyer et d'injection - l'utilisation de cette
nouvelle logique avec les mesures (sur bandes) du tir avorté ayant
montré que dans ces conditions le largage était normalement autorisé.
Comme cela fut confirmé lors du tir réussi du 24 décembre.
|
Le 16 décembre. 15 h 45 Une première
réunion a lieu au centre technique pour définir les matériels à changer, les
remèdes anti-explosion à appliquer à la prochaine tentative et les travaux
des équipes dans l'immédiat.
17 h 20 Deuxième tour de réflexion avec le directeur de la Division lanceur du
CNES. Frédéric d'AIIest, sur les remèdes anti-explosion possibles et les
modifications des paramètres à surveiller sur les moteurs au moment du
largage. Il est décidé de prendre des mesures de pression déjà existantes
sur les moteurs plutôt que d'en installer de nouvelles, et d'utiliser des
mesures qui ne sont pas branchées sur la tuyauterie où s'est produite
l'explosion.
Dans la nuit, la vidange du troisième étage s'achève suivie de celle du
premier étage.
16 décembre, 11 h 40: Première inspection extérieure détaillée de la baie
de propulsion du premier étage. A l'arrêt des moteurs il y a toujours une
flamme d'une dizaine de mètres qui remonte des tuyères et vient lécher les
structures. Malgré les protections thermiques, les structures, les prises-culot
n'ont-elles pas souffert de l'extinction? Il s'avère que quelques points de
chauffe sérieux sont visibles; le revêtement métallique extérieur supérieur
des carénages est gondolé et la peinture roussie. Les inspections ultérieures
montreront heureusement qu'il n'y a rien de grave.
11 h 50 : Nouvelle réunion sur les critères de largage. Il apparaît que le
système sol permettrait aussi de prendre une troisième mesure comme critère
de largage via la télémesure. Ce sera la pression foyer. Les deux autres
pressions déjà sélectionnées sont transmises directement par câble (mesure
dite filaires) via la prise-culot électrique du premier étage. De plus, il est
aussi décidé que les deux ordinateurs K1 et K2 interviendront dans la
décision de largage; une panne de l'un des deux ne pourra arrêter la
séquence. Il suffira, en première approximation, que l'un des trois
paramètres sur chaque moteur soit bon, pour que le largage soit autorisé.
14 heures : L'équipe d'intervention se réunit pour définir les opérations à
venir, et principalement les opérations particulières à effectuer en plus des
opérations nominales " tir avorté " classiques qui étaient déjà
définies avant la tentative de lancement à la suite d'essais en métropole. En
métropole, d'ailleurs, les équipes spéciales "tir avorté " sont
déjà dans l' avion. Celles de la SEP ont été embarquées dans un autocar
suivi d'un autre autocar vide, prêt à prendre le relais du premier en cas de
panne. Les gendarmeries du parcours ont été prévenues, prêtes à faciliter
le passage vers Roissy en cas de difficultés de circulation. À Kourou, en
milieu de journée, la tour est remise en place autour du lanceur. Cela permet
de connecter les prises de remplissage-vidange du deuxième étage et d'entamer
les opérations de vidange.
17 heures : La projection des films de lancement montre bien les flammes qui ont
léché pendant plusieurs dizaines de secondes la base du lanceur à
l'extinction des moteurs. La purge à l'azote destinée à nettoyer les moteurs
des dernières traces d'ergols a été envoyée tardivement d'où des conditions
thermiques plus sévères que lors des expérimentations réalisées en
métropole.
20 heures: Inspection fine de la baie de propulsion pour évaluer les dégâts
éventuels. Sous masque à air respirable les techniciens examinent d'abord
l'intérieur des chambres de combustion des moteurs. Le masque est nécessaire
pour ne pas respirer les vapeurs d'UDMH et de peroxyde d'une part et pour
respirer tout court puisque les moteurs sont balayés à l'azote et qu'il n'y a
pas trace d'oxygène à l'intérieur. Quelques traces noirâtres nous
inquiètent dans les moteurs : y-a-t-il eu échauffement excessif en fin de tir?
Des joints n'ont-ils pas fondu? Ne va-t-il pas y avoir des fuites
catastrophiques lors du prochain fonctionnement?
A 23 heures, ils pénètrent dans la baie de propulsion et constatent le bon
état des matériels. Pas de trace d'échauffements excessifs : un capuchon de
stylo en plastique oublié là lors de la précédente inspection peut en
témoigner. La tuyauterie est vérifié, cause du tir avorté, elle n'a pas
explosé. Puis les équipes de l'Aérospatiale procèdent à leur tour à
l'inspection de la baie. Au niveau de la base du troisième étage. les équipes
SEP ont commencé à changer les plaques à clapets de liaison sol/bord.
17 décembre, 2 heures du matin : l'équipe
tir avorté au complet vient d'arriver à Kourou. Dans la matinée une réunion
fait le point sur toutes les expertises de la veille.
A 13 h 45 toute l'équipe d'intervention SEP, soit 42 personnes, est réunie
pour organiser les travaux qui vont se dérouler vingt-quatre heures sur
vingt-quatre en trois équipes. Dans l'après-midi. les responsables du CNES, de
l'Aérospatiale et de la SEP sont réunis pour définir les opérations
supplémentaires à effectuer pan rapport aux opérations nominales tir avorté
liées aux différentes expertises de la veille. Faudra-t-il remplacer les
carénages. ce qui reporterait le lancement au 1er janvier?
18 décembre, 10 heures : réunion bilan des
opérations en cours. Tout se passe bien : les travaux vont plus vite que prévu
sur le H8 et progressent normalement sur le L 140. Les dépouillements du tir
avorté avancent bon train et ne montrent pas d'autres anomalies que celle qui a
causé l'arrêt ou que l'échauffement de la base du L 140.
Dans l'après-midi, il apparaît que la prochaine tentative de lancement aura
vraisemblablement lieu vers le 24 décembre. Sur le troisième étage, le
système de contrôle d'attitude et de roulis est vérifié; la soupape qui
avait causé des soucis lors de la vidange du 15 décembre est changée. Sur le
premier étage enfin, les nouvelles mesures à prendre en compte pour le largage
sont câblées. Un essai complémentaire d'étanchéité du système de commande
pneumatique a été décidé. Pour mener à bien l'essai il faut une vessie en
caoutchouc très souple. (un préservatif fera l'affaire) L'essai montre que
tout est en ordre.
19 décembre, quatrième jour après le tir
avorté. Pour les équipes d'intervention la notion de nuit et de jour a
disparu. Des groupes se croisent dans la nuit.
Dès les premières heures de la journée ont commencé les opérations de
contrôle des organes pneumatiques du troisième étage. Les soucis pontent
toujours sur l'échauffement de la base du lanceur. Ne faut-il pas changer des
pièces sur la prise-culot pneumatique située à la base du lanceur? Des
raccords spéciaux avec membrane claquable doivent empêcher le retour
d'explosions dans les tuyauteries de mesure. Ils n'ont pu être prêts à temps
dans la matinée pour le départ de Vernon d'un nouveau membre de l'équipe SEP.
Heureusement la gendarmerie d'Evneux réussit en 50 minutes à rallier Roissy
pour y déposer le précieux colis à la passerelle de l'avion.
12 h 20 La métropole appelle. Les photos des quelques échauffements de la base
du lanceur sont arrivées là-bas et suscitent une nouvelle vague d'inquiétudes. Ne faut-il pas réaliser un essai de moteur dans les conditions
exactes du tir avorté et l'expertiser finement ensuite? En tout cas, un essai
de brûlage d'UDMH pendant 100 secondes dans une chambre de combustion va être
effectué le 21 décembre pour vérifier l'absence de dégâts. Un examen
complémentaire de la baie l'après-midi montre d'ailleurs qu'il n'y a vraiment
rien à craindre. D'autre part, l'Aérospatiale et le CNES ont déclaré les
carénages "bons pour le service ". Sur le troisième étage le
connecteur de purge oxygène a été changé.
20 décembre, 5 h 30 Le premier contact de la
journée avec la métropole, il est décidé de ne pas faire d'essai de moteur
complet simulant le tir avorté.
A 10 h 15, a lieu une réunion de tous les représentants des industriels pour
faine le bilan des travaux de remise en état; l'achèvement est prévu
aujourd'hui. La chronologie démarrera à 8 h 15 après-demain pour tir prévu
le 23 décembre à 11 h 00. Des derniers calculs montrent que le soleil peut
échauffer fortement le N2O4 dans les tuyauteries d'alimentation qui courent le
long du premier étage. L'adjonction d'une housse aluminisée largable est
décidée.
21 décembre, 6 h 00 L'inspection finale de
la baie de propulsion du premier étage commence.
A 13 h 30 débute une nouvelle revue avant lancement qui donne le feu vert pour
la deuxième tentative. Le même jour a lieu à Vernon l'essai de brûlage
d'UDMH dans une chambre. Aucun dégât n'est constaté.
Samedi 22 décembre. à nouveau J - 1
Les remplissages du L 140 et du L 33 se déroulent dans le même ordre que le 14
et avec moins d'incidents.
A 19 h 30 toute l'équipe SEP arrive en procession, bougie à la main, au
cocktail de clôture des travaux de remise en état du lanceur.
Dimanche 23 décembre, 5 heures du matin.
La nuit est belle, le retrait de la tour commence, dévoilant le lanceur
illuminé.
Vers 9 h 30 les pleins commencent par le H8. La chronologie a pris 55 minutes de
retard pour causes météo et radar.
HO - 9 mn 30 s, arrêt de chronologie pendant quelques minutes pour cause
météo. La visibilité est insuffisante pour suivre le début de la trajectoire
de la fusée et pouvoir commander sa destruction Si elle dévie vers des zones
habitées. Reprise de chronologie.
HO - 6 mn début de la séquence synchronisée
HO - 52 s arrêt de décompte sur valeur anormale d'une tension des batteries de
bond pan l'ordinateur K1. Il est 12 h 01. Après analyse il apparaît que
l'incident est lié à un équipement appelé INCA (Interrogateur Numérique
Cannes) qui est changé de transmettre les mesures de tension à K1. Il avait
été vu que l'INCA pourrait, avec une faible probabilité, rater les premières
mesures de tension de batterie et une modification avait été prévue pour le
vol L02. Pour reprendre la chronologie, il est décidé de se passer du
contrôle fourni par INCA, ce qui exige également, pour ne pas modifier le
logiciel en temps réel, de supprimer trois autres contrôles qui se font en
même temps. Un opérateur est donc chargé de surveiller les paramètres
correspondants, à l'instant HO - 60 s. Suite à l'arrêt de chronologie les
compléments de pleins sont engagés sur le troisième étage. La procédure
prévoit également la remise en froid de la sphère hélium du troisième
étage. Cette sphère ne résiste à la pression nominale de 200 bars que
lorsque l'hélium est à -163 degrés, les caractéristiques du titane qui la
constitue augmentant fortement aux basses températures. Durant l'opération, il
apparaît que la sphère se dépressuriser trop. Plusieurs tentatives ont lieu
pour établir la circulation d'hélium froid au travers de la sphère mais tout
se passe comme si une perte de charge de 70 bars se produisait dans la plaque à
clapet ombilicale du troisième étage sur le circuit entrée. Il est possible
qu'après la dépressurisation des liaisons ombilicales des circuits de gonflage
de la sphère, de l'air humide entre dans les circuits et que lors d'une
nouvelle utilisation en froid du givre se forme sur le filtre ou le clapet
d'entrée de la plaque à clapet. Entre le HO-6 mn du début de la séquence
synchronisée et l'arrêt à HO-52 s, les circuits sont restés quatre minutes à
l'air libre.
À 12 h 53, a lieu une tentative de pressurisation de la sphère en repartant à
zéro; cela ne manche pas mieux. Il est toujours impossible d'obtenir la
circulation de l'hélium froid sans perdre de la pression. Le temps s'est
gâté. il pleut. Les mauvaises conditions météorologiques s'ajoutent aux
difficultés techniques et le directeur des opérations annonce
" 9 heures, début de chronologie pour lancement à 12 h 00 demain 24
décembre ".
La foule déçue des curieux, rincée parla pluie tropicale, dégouline de la
montagne Carapas dans les flots de latérite glissante. Ce sera pour demain. Sur
l'aire de lancement le troisième étage est vidangé, la tour est remise en
position et dans la nuit les équipes SEP examinent filtres et clapets hélium
après le démontage des liaisons ombilicales.
Les Incidents du 23 décembre
: la faute de l'INCA
Deux incidents consécutifs sont survenus
tors de la seconde tentative de lancement, le 23 décembre; le second
incident qui a conduit à ajourner le tir ayant été induit par le
précédent.
Le premier incident est survenu à H - 55
s, donc au tout dernier instant de la séquence synchronisée avant
l'allumage des moteurs. Il a été provoqué par l'absence de
transmission aux ordinateurs de la tension de charge d'une batterie de
bord du lanceur alimentent notamment la télémesure embarqué.. Les
ordinateurs du banc de contrôle ont donc, comme cela était prévu,
provoqué la " remise on configuration initiale " (RCI) du
lanceur pour reprise de la chronologie à H - 8 mn.
Il s'est avéré rapidement que la
batterie fonctionnait normalement (comme lors de la précédente
tentative) et que se tension de charge était bonne. L'incident
incombait en fait à un dispositif appelé ." INCA ".
(Interrogateur Numérique Cannes) qui effectue les mesures de tensions
et les transmet aux ordinateurs de contrôle. Cet équipement avait
déjà donné des inquiétudes aux responsables quant à sa capacité à
acquérir la première mesure de tension de batterie et à la délivrer
aux ordinateurs dans le délai imparti, Il avait donc été décidé
lors de la revue de projet précédant le premier tir L01 que l'INCA
enverrait aux ordinateurs la seconde mesure de tension - qui à coup sur
peut être délivrée à temps. Mais cette modification ne pouvait
s'appliquer au premier tir par manque de temps - elle le sera par contre
à partir du second tir L02.
Pour la tentative de tir suivante, Il
avait donc été décidé de se passer des mesures de tension fournies par l'INCA, c'est-à-dire aussi des trois autres mesures du même -
temps clé (suite d'opérations à effectuer dans un délai
déterminé), car on ne pouvait pas isoler seulement les mesures de
tensions sans modifier le logiciel des ordinateurs, ce qui était
évidemment exclu à la veille d'un tir. Toutefois, un opérateur était
chargé de surveiller Ces trois autres mesures (INCA excepté) et
d'arrêter, manuellement, la chronologie mi une anomalie apparaissait.
Mais l'incident de l'INCA on a provoqué
un second, beaucoup plus sérieux.
La remise on configuration Initiai, du
lanceur nécessite, on effet, de nombreuses opérations, dont la remise
on circulation de l'hélium (servant à la pressurisation des
réservoirs du troisième étage au sol entre la sphère do bord et
l'alimentation sol ceci afin d'éviter un échauffement de l'hélium
risquant d'entraîner l'explosion de la sphère sous pression (200 bars).
Pour réaliser cette opération on ouvre les vannes situées en tète de
mât et les clapets des plaques du troisième étage afin d'établir la
circulation de l'hélium d'un côté on vide la sphère de l'hélium
échauffé par la température ambiante, de l'autre on alimente la
sphère on hélium froid à 105 K. Le 23 décembre, la vidange s'est
déroulée normalement, mais on a aussitôt constaté une perte de
charge d'environ 70 bars dans le circuit d'alimentation de la sphère d'hélium sous pression, comme si le clapet d'arrivée d'hélium ou le
filtre étaient bouchés.
Après plusieurs tentatives pour tenter
de rétablir la circulation d'hélium avec la sphère, le directeur des
opérations décidait de reporter le tir au lendemain, la météo étant
de toutes façons trop mauvaise pour permettre le lancement ce jour-là,
dans le créneau imparti (5H).
Les investigations menées dans la nuit
du 23 décembre par les équipes de tir révélèrent que le clapet
d'alimentation fonctionnait normalement. L'examen du filtre ne permit
pas non plus de découvrir des traces de polluants ou de glace ( mais
celle-ci avait pu fondre pendant le démontage). Après assainissement à l'hélium
peur éliminer les traces d'eau dans les canalisations et la
sphère, une succession d'opérations d'alimentation - vidange de la
sphère permit de constater que le circuit fonctionnait désormais
normalement.
Les spécialistes on sont donc réduits,
pour l'instant, aux hypothèses sur l'origine de l'incident qui pourrait
avoir été provoqué lors de la mise à l'air libre du circuit
d'hélium au moment du passage on séquence synchronisée (H - 6 mn), la
sphère d'hélium est, on effet, gonflée à la pression de vol et les
clapets sont fermés; mais avant de débrancher les cordons ombilicaux
du circuit d'hélium - qui sont aussi sous pression (à 200 bars) comme
la sphère - on les vidange au moyen des vannes de mise à l'air libre
situées sur les flexibles. C'est à ce moment qu'a pu se produire un
bouchon de glace (formé par cryopompage) ou un bouchon de gaz (formé
par un phénomène thermodynamique analogue au vaper-lock).
Les Conditions de l'incident sont
actuellement simulées sur le pas de tir pour tenter de rééditer le
phénomène et essayer de l'expliquer. Mais il a de toutes façons été
décidé que la mise à l'air libre des vannes du circuit d'hélium
s'effectuerait désormais à travers une atmosphère d'hélium afin
d'empêcher l'incident de se reproduire pendant un lancement. |
Lundi 24 décembre. Aujourd'hui est la
dernière possibilité de tir. La tentative avortée du 15 décembre a consommé
un plein complet d'hydrogène. Lors de l'opération de vidange parles purges à
faible débit après le tir avorté, tout l'hydrogène se réchauffe, repasse à
l'état gazeux et est brûlé dans une piscine spéciale. A nouveau, lors de la
tentative du 23, de l'hydrogène a été consommé (en plus faible quantité).
Il ne reste plus que la possibilité de faire un plein et d'attendre 3 h 45 en
faisant des compléments de plein. Après, il faut un nouvel approvisionnement
en hydrogène. Or le tir avorté a eu lieu le 15. Il y a déjà neuf jours que
le peroxyde d'azote a commencé à corroder les moteurs du premier étage. Tous
les essais de rallumage effectués dans le programme de développement ont
permis de qualifier un allumage après environ sept jours d'attente. Certes, à
titre expérimental, des essais ont été effectués jusqu'à un mois après le
premier tir. Va-t-il falloir renvoyer le lanceur en métropole ou prendra-t-on
le risque de partir pour un premier vol après une très longue durée
d'attente?
6 h 45 Début du gonflage de la sphère hélium du L33. Cinquante minutes plus
tard, la vanne de gonflage côté sol se referme anormalement. Il faut une
intervention qui entraîne un premier arrêt de chronologie à 8 h 36.
10 h 25 deuxième arrêt de chronologie de 15 mn pour tenir compte du retard
accumulé sur les opérations.
10 h 49 Début des remplissages en oxygène et hydrogène du troisième étage.
Les deux premiers sont restés remplis depuis l'avant-veille.
12 h 34 Début de la pressurisation de la sphère hélium du H8.
12 h 44 Mise en pression vol des réservoirs du premier et du deuxième étage.
12 h 55 Chargement du programme de vol dans la case.
13 h 09 La mise en pression et température de la sphère hélium du troisième
étage est connecte.
13 h 31 mn 30 s Début de la séquence synchronisée, H-6 mn. Une fois de plus, le
lanceur est dans les ultimes minutes qui précédent son départ. Son sort ne
dépend plus que des contrôles des ordinateurs K1 et K2.
HO - 2 mn 14 s Arrêt du décompte et retour en configuration H- 6 mn. Le clapet
de pressurisation par le sol du réservoir hydrogène du H8 a tardé à se
refermer. Il lui était alloué 8 secondes. Il en a mis 11. Trois essais manuels
montrent qu'il fonctionne correctement en 5 secondes; le temps de contrôle est
modifié à 10 secondes. La sphère hélium ne va-t-elle pas trop se dégonfler
comme la veille? Elle perd de la pression 170 bars. C'est faible mais
acceptable. Une nouvelle séquence synchronisée peut être lancée.
13 h 49, le "rouge" est toujours sur le lanceur en salle Jupiter! On attend le
passage au "vert" pour démarrer la séquence automatique, mais cela tarde. Il
reste moins de 2 heures pour lancer Ariane avant de tout renvoyer en Europe. La
mauvaise nouvelle vient du CDL 1, même si l'anomalie a été réparé, l'ordinateur K2 refuse d'envoyer son accord pour le passage des pupitres
de commande hydrogène de mode manuel en mode automatique. Sans ce passage en
mode automatique la séquence synchronisée ne peut pas être lancée. Aux
commandes de ces ordinateurs, 3 hommes, Gaston Rabeau, sur l'ordinateur maitre ,
Yves Lagrène et Pierre Perez sur l'ordinateur qui gère les érgols et les
circuits électriques. Le temps passe, il reste une heure pour lancer. Apparemment un relais défaillant est en cause. Pour duper le système, les
spécialistes improvisent un circuit en fil volant installé directement sur la
baie électronique fautive, ça marche. Gaston reprend la main et le système accepte de repasser en
automatique. En salle Jupiter, le "lanceur" passe au "vert", la chronologie peut
reprendre.
14 h 03 Complément de gonflage de la sphère hélium en mode normal. Résultat
catastrophique la pression descend à 145 bars. La méthode de secours étudiée
pendant la nuit est tentée la pression remonte à 200 bans mais la température
est chaude (Si l'on peut dire pour -150 degrés C)
14 h 09, HO - 6 mn. Début de la séquence synchronisée. Le HO - 1 mn arrive. Jean
Pierre Rouzeval, le DDO annonce "top, H-moins une minute". Cette fois c'est bon.
HO, il est 14h 14 mn 38,115 s, mise à feu du premier étage.
HO ± 3,36 s Décollage ! Le sort du lanceur n'est plus entre les mains de ceux
qui l'ont étudié, construit ou préparé. La fusée quitte le sol. Déjà plus
d'une tonne d'ergols consommée. Applaudissements dans le centre de lancement et
au centre technique. Un oiseau qui passait à proximité de la base se met à
brasser frénétiquement l'air pour s'éloigner du bruit.
HO + 3,5 s le lanceur est complètement libéré des crochets. Les carénages.
gondolés pan l'extinction du tir avorté mais fraîchement repeints en blanc,
passent en gros plan devant les caméras de télévision.
HO + 4 s Les systèmes anti-PoGo du premier étage sont entièrement
opérationnels. Décollant sous 0,2 g d'accélération relative, la fusée
s'éloigne du sol suivant la loi simple altitude en mètres = (temps en
secondes)2. A une seconde il est à un mètre, à trois à neuf mètres à 10 à
100 mètres.
Ainsi, à Ho + 11 s la base des tuyères Viking 5 dépasse le haut du mât
ombilical. Jusqu'à cet instant, si le vent est trop fort, un élément du
lanceur, particulièrement ceux qui dépassent comme les empennages, peut venir
heurter le mât ombilical. Les simulations effectuées ont montré qu'il est
risqué de tirer avec un vent supérieur à 10 m/s.
A chaque seconde le lanceur s'allège d'une tonne d'ergols consommée parles
quatre moteurs Vikings. La poussée de chacun des moteurs, 62,5 tonnes, est
équivalente à celle des quatre moteurs Olympus d'un Concorde à pleine
poussée. Après avoir vu le décollage à la télévision les spectateurs du
centre technique situé à 12 kilomètres se précipitent dehors pour voir le
lanceur. Bousculades aux portes.
HO + 13 s Manoeuvre en roulis. Tout au long du vol, le lanceur est orienté
autour de son axe longitudinal de manière à optimiser les liaisons
télémesures avec les stations de réception au sol Galliot et Montabo en
Guyane. Salinopolis et Natal au Brésil, île de l'Ascension (NASA et
Département de la défense américain).
Ainsi le vol commence-t-il sur une rotation de 48.5 degrés du lanceur
effectuée en dix secondes.
HO + 15 s Pour les spectateurs du centre technique. la fusée sort des arbres en
équilibre sur les jets roses des moteurs. En silence car il faut quarante
secondes au bruit pour venir de l' ELA. Quelques instants plus tard, elle
disparaît dans une première couche de nuages.
HO + 23,5 s Manoeuvre en tangage. À partir de cet instant, le lanceur qui
suivait une trajectoire verticale commence à s'incliner. Il garde cinq à six
secondes une inclinaison de 1,37 degré jusqu'à ce que son axe coïncide avec
le vecteur vitesse et il est piloté ensuite pour maintenir la même direction
que ce vecteur vitesse, c'est-à-dire qu'il reste à incidence nulle pan rapport
à l'air sauf quand il traverse des zones de rafales ou des jet-streams en
altitude.
HO + 30 s: Ouverture de la vanne du fond du réservoir hydrogène du H8 pour
mise en froid des circuits hydrogène du moteur. La vanne équivalente côté
oxygène est ouverte depuis une minute avant l'allumage.
HO + 40 s La fusée sont des nuages et file déjà vite sur fond de ciel bleu.
Le bruit du décollage atteint les spectateurs. grondement qui s'amplifie.
HO ± 70 s Passage du mur du son (Mach 1). L'altitude est de 8 000 mètres. A la
moitié avant du lanceur s'accroche quelques secondes un nuage tubulaire de
condensation. Passant entre la côte et les îles du Salut la fusée monte haut
dans le ciel du centre technique. Fine couche de nuage. Elle disparaît cinq
secondes et émerge dans un ciel bleu profond. La vitesse est vraiment
fantastique. Un sillage blanc de condensation marque la trajectoire.
HO + 88 s Pression dynamique maximale de l'air. Mach 2. Après cet instant la
diminution de densité de l'air ambiant l'emporte sur les effets de la vitesse
croissante et la surpression sur l'avant et les protubérances du lanceur
commence à diminuer. L'altitude est de 14 000 mètres.
HO ± 110 s Le sillage s'interrompt. La fusée est trop haute pour la
condensation. Ce n'est plus qu'un point blanc qui file à Mach 3 aux frontières
de l'espace.
HO + 133 s Début d'examen de l'accélération par le calculateur pour détecter
l'extinction des moteurs Viking 4 du premier étage.
H1= HO + 144,5 s Épuisement du N204 les moteurs Viking s'éteignent et
descendent en dessous de la demi-poussée. La fermeture des vannes des moteurs
est commandée aussitôt. L'accélération qui avait atteint 4,3 fois la
pesanteur terrestre (ou 4,3 g) vient de chuter. La vitesse est de 1 850
mètres/seconde. Le fonctionnement du premier étage a duré 1,3 s de moins que
prévu. Altitude 47 kilomètres; distance 60 kilomètres. Malgré la distance la
traînée blanche produite pan l'extinction des moteurs Viking est visible à
l'oeil nu.
H1 + 2,4 s Allumage des fusées d'accélération du L33 nouveau sillage dans le
ciel. Le L 140 est encore rattaché au L33. Ces fusées servent à maintenir une
petite accélération pour garder les ergols du L33 plaqués au fond des
réservoirs afin d'autoriser un allumage correct du moteur Viking 4. Elles sont
allumées à l'instant où dans les cas les plus défavorables la poussée
résiduelle des moteurs Viking 5 du premier étage risque d'être insuffisante
pour assurer cette fonction et brûlent pendant 5 secondes.
H1 + 4,88 s Mise à feu des fusées de freinage du L14O et simultanément du
cordeau détonant qui découpe la jupe arrière du L33. le séparant du L140.
Une grosse bouffée blanche apparaît dans le ciel bleu ; sur les écrans de
télévision on dirait que la fusée explose. Les fusées de freinage du L14O
brûlent rapidement en une seconde en développant une poussée élevée pour
éloigner le L14O du L33. S'il n'y avait pas ces fusées, sous l'effet de la
poussée résiduelle des quatre moteurs Viking s'exerçant sur l'étage vide
dont la masse est réduite à 14,63 tonnes, le L14O pourrait rattraper et
percuter le L33.
H1 + 5,15 s Commande de mise à feu du deuxième étage.
H1 + 5,65 s La tuyère du Viking 4 est complètement sortie de la jupe
inter-étage.
H1 + 5,78 s Les fusées de freinage du L14O s'éteignent. Tout va bien ; après
l'" explosion " les écrans montrent le premier étage qui s'éloigne
lentement du reste de la fusée.
H1 + 5,95 s Allumage du moteur Viking 4. Applaudissements au centre de
contrôle.
H1 + 12,4 s Largage des fusées d'accélération du L33. La fusée est
maintenant trop loin pour être suivie à l'oeil nu. Les cinéthéodolites du CSG
avec leur système de poursuite infrarouge qui reste " accroché " sur
la flamme du moteur continuent à retransmettre des images.
H1 + 15 s Le lanceur qui jusqu'alors était piloté est maintenant guidé. Il
calcule la trajectoire optimale pour rejoindre l'orbite visée.
H+19 s Début d'une rotation en roulis de 25 degrés pour optimiser les
communications avec le sol. La manoeuvre s'achèvera à H1 + 122 s. H1 + 35 s Le
L140 est détruit en vol pour minimiser les risques de pollution marine et ne
pas créer une épave flottante. Les débris vont retomber à 470 kilomètres de
Kourou.
H1 + 95,5 s Les systèmes anti-P000 du L33 sont actifs.
H1 + 102,19 s La coiffe protégeant le satellite dans les couches denses de
l'atmosphère est larguée. Sa fonction est désormais inutile, la densité de
l'air résiduel étant très faible. L'ensemble L33-H8 s'allège de 840
kilogrammes. L'altitude a atteint 110 kilomètres, la vitesse 3 450
mètres/seconde. Les écrans montrent les deux demi-coiffes qui jettent des
éclats en tournoyant au soleil et s éloignent du deuxième étage. Les débris
vont retomber à 1 200 kilomètres de Kourou. Ovation en salle-projet.
H1 ± 130 s Début d'examen de l'accélération par le calculateur pour
détecter l'extinction, du moteur Viking 4.
H2 = H1 + 140,62 s Epuisement de I'UDMH. Le moteur Viking 4 s'arrête. La case
envoie l'ordre de fermeture des vannes du moteur. 285,1 secondes se sont
écoulées depuis l'allumage du premier étage. soit 2,9 secondes de moins que
prévu. L'accélération vient de tomber après avoir atteint 4,7 g. La vitesse
est de 4 850 mètres/seconde, l'altitude de 134 kilomètres. H2 + 1,05 s Mise à
feu des fusées d'accélération du H8.
H2 + 4s Fin de la pré pressurisation du réservoir d'hydrogène à l'hélium.
H2 + 4,95 s Mise à feu des fusées de freinage du L33 et simultanément du
cordeau qui découle la jupe inter-étage. " Séparation 2-3 ",
annonce la sono sol.
H2 + 6,91 s Mise à feu de l'allumeur de la chambre HM7, puis du démarreur du
générateur de gaz.
H2 + 11 s: " Pression troisième étage correcte ". Ouf! Nouveaux
applaudissements au centre technique. Cette fois le succès inespéré paraît
presque assuré!
H2 + 12 s : Démarrage du pilotage en roulis par le système SCAR du H8. Le
lanceur entame une manoeuvre de rotation de 25 degrés en roulis en sens inverse
de celle effectuée à partir de H1 + 19 s, toujours pour optimiser les
télécommunications avec le sol. La manoeuvre s achèvera vers H2 + 520 s.
H2 +21,05 s: Largage des fusées d'accélération du H8. Quelques secondes plus
tard, la destruction du L33 est commandée. Les débris vont retomber à 2 300
kilomètres de Kourou. - " Pilotage correct- On vole très légèrement,
très légèrement au-dessus de la trajectoire. "
H2 + 80 s: "Acquisition Natal." La station de réception de Natal au
Brésil reçoit les signaux de télémesure. Le H8 est à 640 kilomètres de
Kourou. Il va traverser l'Atlantique en huit minutes. Quarante-six ans
auparavant le trajet voisin de Saint-Louis du Sénégal à Natal demandait
quatorze heures trente à Mermoz! - " Les données de Natal arrivent à
Ascension correctement. " - " Propulsion 0K, un petit peu de POGO en
fin de vol L33. Quelques oscillations de pression de combustion ont été
notées en fin de vol L33 sur les courbes qui sortent en temps réel à la
montagne des Pères. Rien de grave.
H2 + 246 s : Un peu moins de neuf minutes depuis le décollage. Le H8 est à
1750 kilomètres de Kourou, vitesse : 6,2 kilomètres/seconde ou 22 000
kilomètres/heure. il culmine à 206 kilomètres d'altitude. " Perte radar
de Kourou. " La fusée est trop loin de sa base de lancement; cachée par
la courbure de la terre, elle disparaît sous l'horizon. - "La perte
radar de Kourou est nominale. " - " Pilotage 0K. - " Propulsion
correcte toujours. L'altitude diminue. Le phénomène est normal. L'optimisation
de la trajectoire conduit à une descente momentanée du H8 liée au fait
qu'entre le point de culmination et l'injection en orbite il est préférable de
suivre la trajectoire la plus directe. Cela conduit à une trajectoire moins
courbe, plus "tendue " que la courbure de la terre donc à un
rapprochement passager de la surface terrestre. Le point de culmination, lui,
est imposé par la nécessité de sortir rapidement des couches basses de
l'atmosphère pour minimiser le frottement de l'air donc de partir quasi
verticalement avant d'incliner franchement la trajectoire dans la direction
désirée. - " Dans trente secondes Ascension devrait annoncer son
acquisition.
H2 + 422 s : " Acquisition correcte à Ascension. " Applaudissements
en salle projet. - " Radar Ascension accroché et télémesure accrochée.
" - " Acquisition NASA et DOD. Les stations de la NASA et de l'armée
américaine (Department of defense) situées sur l'île britannique d'Ascension
au milieu de l'Atlantique reçoivent les émissions de la fusée et suivent sa
trajectoire. On s'inquiète à Kourou devant les trajectographes : le stylet
traceur frétille et dessine des escaliers et des montagnes autour de la
trajectoire nominale. Le H8 a-t-il explosé? - " La trajectographie est
faite par le radar d'Ascension actuellement. " Voilà l'explication ! Les
écarts de mesure entre le radar de Natal et celui d'Ascension se sont traduits
par des bonds sur le trajectographe.
H2 + 445 s : L'altitude est minimale :195 kilomètres. Kourou est à 3 100
kilomètres. Vitesse: plus de 8 kilomètres/seconde. A partir de cet instant une
satellisation minimale est assurée.
H2 + 500 s : Début du calcul de détermination de l'instant où il faudra
arrêter le H8 quand point et vitesse d'injection seront atteints.
H3 = H2 + 940,868 s : Extinction commandée du H8. L'accélération a atteint 1
,8 g, la vitesse 9 750 mètres/seconde, l'altitude 218 kilomètres. Kourou est
maintenant à 4 100 kilomètres. Le vol propulsé du H8 a duré 16 secondes de
moins que prévu, la poussée ayant été un peu plus forte. L'annonce
Extinction troisième étage " déchaîne les applaudissements au centre
technique. Le plus gros est fait; la mission est déjà un très grand succès.
H3 + 2 s : Le système de contrôle d'attitude et de roulis à six tuyères du
H8 prend en compte le contrôle d'attitude complet. Il fonctionne à partir de
l'hydrogène gazeux contenu dans le réservoir hydrogène. L'attitude de la fin
de propulsion est maintenue par le système pendant une minute pour vérifier
ses capacités et sa précision.
H3 ± 67,5 s ou 825,7 secondes après l'allumage au sol : ouverture de la sangle
reliant la charge utile à l'adaptateur de la case à équipement. Six ressorts
libèrent la capsule technologique Ariane CAT. " Séparation correcte.
" Mêmes applaudissements et interpellations joyeuses dans toutes les
salles de Kourou. Sur la montagne Carapas c'est le délire. Les gens
s'embrassent en pleurant. " Terminé ", laisse tomber la sono sans
émotion apparente. Loin du bruit, la capsule technologique file dans l'espace
vers son premier apogée au-dessus de l'océan Indien au dixième de la distance
terre-lune.
La séquence de vol d'Ariane 1 est assez
atypique avec ce "creux" dans la trajectoire au cours de la propulsion du H8.
Arrivée au dessus de 210 km d'altitude, le lanceur perd de l'altitude pendant
quelques minutes, tombant à 180 km pour ensuite remonter et terminer sa mission.
La raison est la suivante; l'étage H8 d'Ariane est un étage équipé d'un moteur à
haut rendement mais à faible poussée. Sa poussée est inférieure au poids de
l'étage. Le moteur pousse son étage lui faisant gagner de la vitesse mais perdre
de l'altitude. Au fur et mesure, la masse d'ergols diminuant, la poussée du
moteur reprend le dessus et monter en altitude
|
Cette capsule CAT (Capsule Ariane Technologie)
est constituée d'un module cylindrique de 1 ,2 mètres de diamètre, d'une
masse de 1 600 kilogrammes dont 1 385 sont formés d'un lest d'aluminium
posé dessus.
Avant le lancement, elle permet l'accès au travers de portes situées sur
la coiffe aux ombilicaux CU et à la mise en place de l'armement
pyrotechnique avant la mise à feu du lanceur. En vol, la CAT fournit des informations sur l'ambiance que doit supporter un
satellite lancé par Ariane. Elle est équipée de capteurs de vibration,
d'accélérations, de bruit acoustique et de pollution et d'émetteurs de
télémesure sur 2206,5 et 131,61 MHz alimentés par batteries. L'autonomie
des batteries limite à une soixantaine d'heures la durée de vie de la
CAT, durée suffisante pour permettre la détermination des paramètres de
l'orbite avec précision. Les mesures radar confirment rapidement que
l'orbite visée est atteinte. Sur 48 heures les mesures par
interférométrie donneront 36 021 kilomètres d'apogée pour 35 753 visés,
200,8 kilomètres de périgée pour 200 visés et 17,56 degrés d'inclinaison
sur l'équateur pour 17,5 visés |
Après largage de la CAT, le H8 est basculé de 90 degrés et mis en rotation
autour de son axe longitudinal (roulis) à dix tours par minute, ceci afin de
tester cette opération de mise en rotation qui sera nécessaire pour stabiliser
certaines charges utiles ultérieures avant largage. Cent vingt secondes plus
tard, la mission prend fin avec la fermeture de toutes les vannes du H8. Le
succès est total. C'est même une première mondiale car jamais auparavant un
lanceur, dont aucun des étages n'avait été essayé en vol, n'a réussi sa
mission à la première tentative. Le travail de milliers de personnes pendant
sept années se trouve couronné avec une perfection que bien peu auraient osé
espérer. - " Acquisition Pretoria. " C'est maintenant l'Afrique du
Sud qui reçoit les émissions de la CAT. Nouveau lancement à Kourou. Une
fusée super Arkas à poudre décolle sous une accélération fantastique et
monte faire un sondage des vitesses et orientations du vent dans l'atmosphère
afin de permettre une meilleure exploitation de la trajectoire d'Ariane. Trois
heures après le lancement, toutes les équipes qui ont participé à la
campagne ainsi que leurs familles sont rassemblées dans le hall de stockage des
étages face à ELA 1. Le hall est plein. Seul costume de rigueur, le T-shirt
Ariane. quelle que soit la société qui l'a préparé. Yves Sillard, le
directeur général du CNES, prononce un discours que la sono a du mal à
répercuter dans tout le bâtiment par dessus le bruit général. La
consommation de champagne par seconde approche celle de l' UDMH d'un moteur
Viking...
La joie au CDL 1
Juste après la réussite de
L01..."ca c'était pour les Ricians...qui ne voulaient pas voir arriver à la
table des nations ayant un accès autonome à l'espace...Zob !!
Photographié en mer, le haut de l'étage L140
après sa retombée de 60 km d'altitude
Inspection du pad après le tir.
Alexandre Merdrignac, COEL du vol 01 et Hubert Curien, président du CNES font
une partie de boules de neige sur l'ELA 1. L'évacuation d'oxygène liquide au pied de la
tour a formé un gros tas de neige.
Sitôt le lancement réalisé, les techniciens du CSG
réveillonnent.
Gaston Rabeau avec Pierre Perez, au lendemain du
succès de L01."Sa
grande pudeur n’a eu d’égal que sa totale maîtrise et sa parfaite connaissance
de tous les process du lanceur L01 .Chapeau bas" dira Gaston à propos de Pierre.
"Tu as toujours
refusé les honneurs, mais sache que je n'oublierai jamais cette partition que
l'on a joué à trois pour la dernière Chrono ! Avec Gérard Lagrenée, ils ont fait
décoller Ariane ce 24 décembre." La séquence automatique refusant de partir à
cause de valeur "hors norme" sur l'étage H8, Gaston propose à Pierre de forcer
l'ordinateur K2 en lui changeant les valeurs en analogique. Gérard Lagrené, le
3e "roi mage" de l'équipe au CDL vérifie et valide la démarche de Gaston. Pierre
envoie un "Vas y Gaston" qui est retransmit dans la sonorisation générale de la
salle et deviendra célèbre. Gaston bascule les contacts, K2 lance la séquence
synchronisée, K1 suit et çà repart, Ariane décolle à 14h14 mn et 38 seconde...
Après le lancement, Gaston brandit les fils électriques qui lui ont servit à
"court circuiter l'ordinateur.
Décembre 1979, Hubert Curien,
le président du CNES, adresse son discours de félicitations à l'ensemble du
personnel rassemblé dans le hall d'assemblage Diamant au centre spatial guyanais
à la suite du lancement de Ariane L01.
Les semaines qui vont suivre, consacrées à
l'exploitation des résultats, montreront que tout s'est vraiment bien déroulé.
Un léger phénomène POGO s'est produit à la fin du vol L33. Les
modélisations avaient prévu qu'il était possible mais pas sûr. Un changement
de réglage des systèmes correcteurs POGO en fin de vol sera introduit pour les
vols suivants. Lors du fonctionnement des rétrofusées du L33 à la séparation
entre deuxième et troisième étage, il a été noté une contamination plus
élevée que prévu au niveau de la CAT. Les satellites ont Souvent des surfaces
(panneaux solaires, déflecteurs) sensibles à la pollution aussi faut-il
éviter que les jets de gaz et particules des rétrofusées ne viennent salir
ces surfaces. A partir du troisième vol les six fusées d'accélération à la
base du deuxième étage seront réduites à quatre, ce qui laissera la place
pour implanter deux fusées de freinage au lieu des trois situées à l'avant de
l'étage. Placées plus loin du satellite et réduites en nombre, ces fusées entraîneront
une contamination beaucoup plus faible de la charge utile.
Date |
Vol |
Lanceur |
Satellites |
Commentaires |
24/12/79 |
L 01 |
AR1 |
capsule
technologique(CAT) |
Premier lancement
Ariane 1 |
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