La station ISS, malgré ces nombreux contretemps est depuis 1998 une réalité. Malgré les réduction de budget, les aléas techniques et les problèmes de politique internationale, les éléments s'assemblent les uns au autres et les équipages assurent des relèves régulières. Ces équipages sont les pionniers d'une longue série qui marquera la réelle présence de l'homme dans l'espace avec pour cible dans les décennies à venir l'exploration de la planète mars ou le retour à la lune avec le programme Constellation.
QUI FAIT ISS ? Dès le départ, la grande complexité d'assemblage de la station est évidente. Pas moins de 43 lancements sont planifiés dès 1994, avec 34 vols Shuttle, 5 lanceurs Soyouz et 4 Proton, sans compter les rotations d'équipages tous les 6 mois. 16 états se sont ainsi associés au montage du plus grand mécano spatial de tous les temps le Canada, le Danemark, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Japon, la Belgique, le Brésil, la Hollande, la Norvège, la Russie, l'Espagne, la Suède, la Suisse, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Les Etats-Unis apportent la plus grande contribution. La NASA est l'initiatrice du projet et est responsable de son bon déroulement. Elle a pour principal contractant le groupe Boeing Space & Communications (regroupant McDonnell Douglas, Rocketdyne et Boeing) pour 5,63 milliards $, et Lockheed Martin pour 1 milliards $. La participation matérielle comprend la structure principale ITS (poutrelles), quatre paires de panneaux solaires (32,8 par 11,5 m), les trois modules Node formant nœud de liaison incluant les sas d'amarrage pour les vaisseaux spatiaux Quest et les autres éléments, et les réservoirs d'air respirable qui approvisionneront aussi bien les locaux d'habitation que les combinaisons spatiales tant américaines que russes. La NASA devait fournir aussi le module d'habitation mais il a été annulé pour des raisons financières et le laboratoire américain Destiny. La logistique est sous la responsabilité de la NASA, comme la fourniture de la puissance électrique, les communications et le traitement des données, le contrôle thermique, le contrôle de l'environnement de la vie et l'entretien de la santé de l'équipage. Les gyroscopes de l'ISS sont aussi sous la responsabilité de la NASA. L'Agence spatiale canadienne prend en charge la réalisation du bras robotique MSS (Mobile Servicing System) un Canadarm de seconde génération (17 m de long), un dispositif unique destiné à fournir une aide dans l'assemblage et la maintenance de la station. Le Canada fournit aussi le Space Vision System, un système de caméras qui a déjà été testé sur le bras manipulateur de la navette spatiale américaine destiné à assister les astronautes chargés de son utilisation La majorité des états membres de l'ESA travaillent à l'ISS. L'Europe fournit le système de gestion de données DMS-R (Dasa) du module russe SM Zvezda, le bras télémanipulateur ERA de 10 m de long (Fokker) qui sera installé sur la tour russe SPP, le module-laboratoire COF Colombus Orbital Facility (Dasa) qui sera lancé par le Shuttle pouvant recevoir 10 racks standards, le ravitailleur automatique ATV Automated Transfer Vehicle (Aerospatiale) qui sera lancé par Ariane 5 (deux vols tous les trois ans ), les node 2 et 3 (Alenia) dérivés du module MPLM (en échange du lancement du COF), la boîte à gants Glovebox, le système de pointage Hexapod, quatre congélateurs MELFI (Matra) et un logiciel de base de données de mission. Les européens devaient aussi coopérer à la construction du CRV (Crew Return Vehicle), annulé en 2003, avec les américains. Le Japon par l'intermédiaire de la JAXA (ex NASDA) fournit le module JEM (Japanese Experiment Module) qui abrite plusieurs compartiments pressurisés habitables, une plate-forme où 10 palettes d'instruments peuvent être exposés au vide spatial, un bras manipulateur spécifique et la centrifugeuse CAM. La Russie (ex-URSS) fort de ses expériences avec les stations Saliout et MIR fournie un tiers environ de la masse de l'ISS. Rocket Space Corporation-Energia et Krunitchev Space Center ont fabriqué les deux premiers modules Zarya et Zveada, le compartiment d'amarrage, une tour génératrice SPP ainsi que deux modules. Les modules de recherches prévus initialement ont été annulé pour des raisons financières et remplacé par deux modules multifonction. La Russie assure aussi le transport des équipage d'occupation dans les Soyouz ainsi que le ravitaillement en ergols et équipements grâce aux Progress. Sous la direction de l'Agence Spatiale Brésilienne, l'Institut National de Pesquisas (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais) fournit une palette à instruments (EXPRESS) et son système de fixation qui accueilleront diverses expériences à l'extérieur de la station. Acheminées par une navette, celles-ci sont destinées à être exposée au vide spatial durant une longue période. Configuration d'ISS en juillet 2004 À
quoi servira la Station spatiale internationale une fois son assemblage complété
vers 2004 ? Depuis le début du
programme, la NASA la célèbre comme l’un des complexes scientifiques les
plus remarquables dans lequel se réalisera la gamme des expériences touchant
toutes les disciplines scientifiques. À bord d’ISS, on entend en effet
profiter des deux caractéristiques uniques de l’espace — l’absence quasi
totale de la gravité et le vide presque absolu à l’extérieur — pour
accomplir des travaux qui s’étendront sur de plus longues périodes. Ces deux
propriétés donneront l’opportunité de recourir à des processus de chimie
et de physique inexistants sur Terre. Dans la station, la durée
et la répétition des expériences permettront de contourner les difficultés
et de faire quantités d’essais et d’échantillonnages. De plus, la présence
permanente des stationautes — des scientifiques habitués à vivre en
apesanteur — devrait conduire à des innovations expérimentales qu’on a
peine à entrevoir aujourd’hui. Les travaux réalisés
dans ISS pourraient s’apparenter à ceux effectués ces trente dernières années
par les Russes dans leurs Saliout et Mir. À bien des égards ISS se compare à
Mir, mais elle bénéficiera de ressources surpassant de beaucoup celles du
complexe russe en plus de disposer de nouvelles générations d’appareillage.
La station disposera notamment de soixante fois plus d’énergie électrique,
un paramètre fondamental qui détermine le nombre d’instruments en fonction;
de plus, sept personnes, au lieu de deux ou trois, y travailleront sans relâche.
Selon les promoteurs du
projet, l’environnement de microgravité qui régnera à bord de la station
permettra de percer les mystères de phénomènes biomédicaux, de physique et
de chimie, d’améliorer les procédés de fabrication sur Terre ainsi que de développer
des alliages révolutionnaires et même des médicaments. Cependant les mêmes
prétentions étaient avancées dans les années 70 pour justifier le programme
de la Navette spatiale. On attend toujours les résultats et bon nombre de
chercheurs contestent ces ambitions en regard des coûts exorbitants du projet.
Les véritables retombées
de la station internationale Toutefois, l’utilité du
projet dépasse largement les possibilités scientifiques et technologiques
entrevues. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une base spatiale
internationale où apprennent à collaborer une quinzaine de pays, des nations
aussi différentes que les Américains, les Russes et les Japonais. Cette coopération
s’est amorcée dans les années 80 et porte déjà fruit, notamment en
associant Américains et Russes dans un domaine jadis de féroce compétition.
Ainsi, des dizaines de spécialistes américains vivent et travaillent à la Cité
des Étoiles et au centre Korolev alors que leurs collègues russes font de même
à Houston et à Cape Canaveral, autrefois des sites stratégiques jalousement
préservés. Mais surtout, la conduite quotidienne des opérations de la station
impose le maintien d’une collaboration étroite et à tous les niveaux entre
les deux grandes puissances nucléaires. Nul doute que notre petite planète ne
peut qu’en tirer avantage. De plus, intégrer au
projet une douzaine de nations renforce non seulement les liens de coopération
à l’échelle du globe, mais entraîne une " mise à niveau "
des pratiques dans tous les domaines des technologies de pointe au sein de
cultures fort différentes. Un autre volet important
du programme sera de préparer les futures expéditions vers la Lune et Mars. À
l’origine, on présentait d’ailleurs ISS comme le port où seraient assemblés
et lancés les vaisseaux interplanétaires. Aujourd’hui, rien n’est envisagé
concrètement à cause des coûts astronomiques de telles expéditions. Mais
l’assemblage de la station préfigure la construction des vaisseaux interplanétaires
du siècle prochain. De plus, on acquerra à bord d’ISS les techniques pour
vivre couramment en apesanteur et on développera les mesures de santé
essentielles aux voyages vers les planètes. On sait, par exemple, que
l’un des grands obstacles aux longues envolées est la perte du calcium des os
et l’affaiblissement des muscles en apesanteur. Or, l’un des sujets d’étude
mené par et sur les stationautes sera de concevoir des mesures pour remédier
à ces effets néfastes. Un autre obstacle majeur aux vols interplanétaires est
d’ordre psychologique : comment vivre confiné durant des années dans un
vaisseau spatial où il n’est pas question d’aller faire une petite marche?
Et comment s’entendront sept personnes de culture différente dans un tel
environnement ? C’est ce qu’on découvrira les prochaines années... Mais au bout du compte, la
plus grande retombée du projet pourrait bien être d’apprendre à nos
gouvernements à vivre ensemble sur Terre comme dans l’espace. Ainsi la
Station spatiale internationale deviendrait un outil de plus pour préserver la
paix sur Terre. Pour la
première fois, des hommes et des femmes de nationalités différentes vivront
de longs mois dans un vaisseau spatial, c’est-à-dire dans un environnement
fermé et stressant. C’est probablement à ce chapitre que résident les plus
grandes inconnues. L’un des problèmes
envisageables vient du fait que la Station spatiale internationale est, en dépit
de son nom, un projet principalement américain puisque ces derniers financent
les deux-tiers des coûts. Par conséquent, ceux-ci se considèrent
naturellement comme les maîtres à bord, alors que les autres partenaires,
particulièrement les Russes, souffrent de se voir relégués au second plan...
On a déjà assisté à certaines tensions, lorsque la NASA décide de remanier
le projet à son gré. Un condo avec trop de
propriétaires ?
La station ISS est le
premier vaisseau spatial habité, réalisé en partenariat, ce qui soulève des
attentes respectives. Jusqu’à présent,
toutes les envolées spatiales ont eu lieu à bord de vaisseaux américains ou
russes. Ainsi, lorsque des ressortissants étrangers participaient au voyage,
ils se conformaient aux us et coutumes en vigueur. La même tolérance était
observée par les Américains et les Russes. Toutefois, à partir de
2004, la Station spatiale internationale sera toujours occupée par des
stationautes de plusieurs nations pendant six mois. Comme leur pays défraie une
portion non-négligeable des coûts, ils se sentiront un peu " propriétaires "
des lieux. Il faudra donc accommoder tout le monde et ménager les susceptibilités
nationales. Ainsi les Russes, héritiers de trois décennies d’expériences en
station orbitale, voient mal le fait d’être considérés comme des
partenaires juniors par les Américains. Ils ont d’ailleurs peine à mettre
fin à leur programme Mir — leur fierté nationale à juste titre — pour
s’intégrer au projet ISS où ils perdront toute maîtrise des opérations. Et
déjà, certains Américains contestent le fait que des cosmonautes commanderont
un équipage sur deux à bord d’ISS. De leur côté, les Russes évoquent leur
grande expérience et rechignent à l’idée d’être relégués à des
fonctions subalternes. Quant aux autres partenaires — européens, japonais et
canadiens — ils acceptent plus aisément leur statut de partenaires juniors,
bien que les Américains devront là encore ménager les susceptibilités
nationales. Que mange-t-on... et en
quelle langue ? La barrière des langues
semble a priori l’un des principaux obstacles à la vie en commun à bord de
la station. Mais plusieurs stationautes maîtrisent plus d’une langue et
chacun pourra s’entretenir avec des compatriotes au sol. De surcroît, depuis
1993, les astronautes provenant de tous les pays participants au projet ISS
vivent, s’entraînent à Houston et prennent part régulièrement aux envolées
de la navette. Les futurs stationautes sont donc habitués à interagir entre
eux. Néanmoins, à bord d’ISS, la langue d’usage que doivent partager tous
les résidants sera l’anglais. Parmi les facteurs
culturels préoccupants viennent en premier lieu les pratiques différentes en
matière de communications verbales et non verbales. L’anthropologue Mary
Lozano a interviewé les astronautes américains, européens, japonais,
canadiens et russes afin d’établir leurs perceptions culturelles. Ainsi les Américains
considèrent que les Japonais acquiescent même lorsqu’ils pensent le
contraire pour préserver la cohésion du groupe. En revanche, aux yeux des
Japonais, l’attitude très individualiste des Américains leur semble
irrationnelle et même provocante. Les Américains sentent les Français quelque
peu capricieux, alors que les Allemands jugent les Italiens trop émotifs...Quant
aux Canadiens, ils souffrent d’être souvent perçus comme des Américains !
Et plusieurs s’inquiètent de ce que les repas ne soient pas considérés avec
suffisamment d’égard par les Américains. Beaucoup d’attention est
d’ailleurs portée à la nourriture servie à bord, les psychologues étant
conscients de l’importance de bien manger. Il faudra non seulement vérifier
que chacun puisse s’alimenter selon ses habitudes et besoins mais également
s’assurer que les odeurs ou les effets de certains aliments ne dérangeront
pas les autres... Claude Lafleur. Novembre 2000 d' après des textes publiés sur les sites de Claude Lafleur.
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